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Crises, chômage, terreur: la seule solution:

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Erreur de la banque centrale en votre faveur : 3 000 euros

Le Point - Publié le 16/01/2015 à 13:51 - Modifié le 16/01/2015 à 16:01

Certains économistes estiment que la seule solution pour éviter la déflation est de distribuer de l'argent directement aux ménages. Explications.

La BCE devrait annoncer des rachats de dette publique le 22 janvier.La BCE devrait annoncer des rachats de dette publique le 22 janvier. © ISOPIX / Sipa
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Imaginez. Vous rentrez chez vous le soir, épuisé par une journée de travail ou de recherche d'emploi. Vous récupérez votre courrier, et là, surprise, vous découvrez une lettre de la Banque centrale européenne, signée Mario Draghi en personne. "Suite à la dernière réunion de son comité de politique monétaire, l'eurosystème a décidé de créditer le compte de chaque citoyen de la zone euro de 3 000 euros." Absurde, direz-vous. Impossible. Aucune chance. Eh bien, figurez-vous que c'est ce que réclament certains économistes anglo-saxons pour sortir de la spirale déflationniste qui menace de s'abattre sur la zone euro. Et ils n'ont rien d'illuminé.
Faire marcher la planche à billets pour les distribuer immédiatement aux ménages serait même à leurs yeux la dernière option disponible pour éviter à l'Europe de sombrer dans une spirale déflationniste. Le raisonnement est limpide : chacun dépenserait l'argent reçu, ce qui aiderait à relancer la demande, et donc la machine économique. L'idée ne sort pas de nulle part : elle est bel et bien présente dans la littérature économique académique. Dans sa Théorie générale de l'emploi* de 1936, Keynesconsidérait ainsi que "si le Trésor public remplissait des bouteilles avec des billets de banque, les enterrait dans des mines désaffectées, les recouvrait d'ordures et laissait ensuite à une compagnie le soin de les déterrer, il n'y aurait plus de chômage" !

Larguer de l'argent par hélicoptère

Quant au monétariste Milton Friedman, il proposait de larguer des billets par hélicoptère ("helicopter drop") à la population en cas de déflation*, une image reprise dans le Batman de Tim Burton lorsque le Joker fait jeter des liasses par ses sbires depuis des hélicoptères. Les bénéficiaires de la manne tombée du ciel deviennent soudain plus riches et sont en concurrence pour acheter la même quantité de biens, ce qui fait monter les prix. Pour Milton Friedman, "l'inflation est partout et toujours un phénomène monétaire dans le sens où elle est et ne peut être générée que par une augmentation plus rapide de la quantité de monnaie que celle de la production". Pour lutter contre la déflation, il faut donc trouver le moyen d'augmenter la masse monétaire en circulation dans l'économie.
L'idée de faire un chèque aux ménages refleurit dans la presse anglo-saxonne justement au moment où les mesures prises jusqu'à présent pour prévenir la déflation ne parviennent pas à faire augmenter la masse monétaire en circulation. Les instruments de la politique monétaire qui passent par l'intermédiaire du système bancaire se révèlent incapables de faire remonter l'inflation pour assurer la "stabilité des prix", définie comme proche mais inférieure à 2 %.

L'échec des précédentes mesures 

La Banque centrale européenne a déjà réduit le coût de l'argent au maximum, en ramenant ses taux d'intérêt à zéro, voire en territoire négatif, sans parvenir à relancer la consommation et l'investissement. L'arrosage des banques avec de la liquidité en échange d'actifs pris en pension à la Banque centrale n'a pas plus permis de faire redémarrer véritablement la machine économique. La santé des banques a beau s'être progressivement améliorée depuis l'éclatement de la crise, entreprises et ménages ne demandent pas suffisamment de crédits parce que leurs carnets de commandes sont vides et qu'ils sont trop endettés. "Ce n'est pas parce que le crédit n'est pas cher et qu'il est abondant que les agents économiques vont investir ou dépenser, s'ils sont vraiment pessimistes sur leur situation", souligne Éric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management. On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif.
La BCE a même tenté de recourir à des techniques plus exotiques pour faire augmenter la masse monétaire en circulation. Par exemple, en achetant des crédits titrisés et revendus par les banques sur les marchés pour sortir le risque pris de leur bilan. Mais cela s'est une nouvelle fois avéré insuffisant pour faire augmenter suffisamment la masse monétaire. Au mieux, la Banque centrale augmente "l'argent banque centrale", la base monétaire, mais n'arrive pas à augmenter la masse monétaire dans l'économie, que seules les banques privées ont le pouvoir de créer en accordant des crédits.

Des défauts du quantitative easing

Le 22 janvier, le président italien de la BCE devrait donc annoncer une nouvelle étape dans les mesures "non conventionnelles", très attendue par nombre de responsables politiques, d'observateurs et d'investisseurs. Après un intense bras de fer interne à l'institution, Mario Draghi devrait suivre l'exemple de la banque centrale des États-Unis, d'Angleterre et du Japon en rachetant de la dette publique des États membres sur les marchés pour injecter massivement des euros dans l'économie, ce que les économistes appellent le "quantitative easing (QE)". Il a promis d'étendre son bilan de quelque 1 000 milliards d'euros, l'équivalent de la moitié de la richesse annuelle produite en France.
Mais nombreux sont ceux qui doutent déjà de l'efficacité d'une telle mesure pour revigorer les prix et éviter la spirale déflationniste. C'est le cas de John Muelbauer, professeur d'économie à l'université d'Oxford, de Willem Hendrik Buiter, chef économiste de la banque Citigroup, ou encore de l'éditorialiste du Financial Times Wolfgang Münchau et d'Ambrose Evans-Pritchard du Daily Telegraph. "Ceux qui doutent de l'efficacité du quantitative easing disent qu'il ne sert qu'à gonfler des bulles en faisant augmenter le prix des actifs, comme l'immobilier, les actions, les obligations, etc.", résume Éric Dor.

Une banque centrale peut-elle faire faillite ? 

Reste la création monétaire, la planche à billets pure. Pour certains économistes, cela nécessite que la banque centrale prête d'abord à un État, par exemple en lui achetant des obligations à l'émission. Ce financement des États par la Banque centrale est formellement interdit par les traités européens. Mais, pour d'autres, la banque centrale pourrait très bien enjamber l'État et le système financier en cas de situation exceptionnelle. "Ces économistes estiment que, techniquement, une banque centrale n'a pas besoin d'avoir un actif de valeur de marché sûre pour garantir son passif, donc garantir sa solvabilité. En effet, une banque centrale rembourse ses dettes avec de la monnaie qu'elle imprime elle-même. Même si la valeur de marché de son actif s'effondre, elle peut toujours rembourser ses dettes, contrairement aux banques commerciales et aux entreprises et ménages. Une banque centrale peut fonctionner avec des fonds propres négatifs", explique Éric Dor. Étendre le bilan de la BCE de 1 000 milliards, comme elle l'a promis, permettrait de signer un chèque de 3 000 euros à chaque citoyen de la zone euro. 
Le risque est évidemment que cela dégénère en crise inflationniste. Mais dans le contexte actuel, l'objectif d'un quantitative easing pour les ménages serait justement de stimuler l'inflation ! "S'il y avait vraiment un risque de déflation, il n'y aurait objectivement pas d'autres solutions que l'injection de monnaie par hélicoptère", confirme Jean-Marc Daniel, spécialiste de l'histoire économique et professeur à l'ESCP Europe, pourtant opposé à tout quantitative easing. Pour Natacha Valla, responsable du programme macroéconomie et finance internationale du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), une telle mesure "jouerait sur les deux aspects : monétariste, avec l'augmentation de la masse monétaire, et keynésien, pour relancer la demande".

Le risque du précédent

Pourquoi le QE "pour le peuple" n'est-il pas envisagé ? Parce qu'il heurte de plein fouet l'orthodoxie monétaire. L'Allemagne reste particulièrement traumatisée par l'hyperinflation des années 20. Créer de la monnaie pour faire un chèque à la population, voire aux plus modestes qui consomment davantage, pourrait aussi créer un précédent. À chaque récession, un phénomène normal dans une économie cyclique, des citoyens ou des politiciens se lèveraient pour réclamer un geste de la banque centrale. Avec le risque que les acteurs finissent par perdre la confiance qu'ils portent en leur monnaie... Possible en théorie, l'usage de la planche à billets pour financer les États ou pour abonder le portefeuille de tout un chacun est donc, dans l'état actuel des choses, exclu.
C'est pourquoi certains économistes proposent des solutions intermédiaires. Natacha Valla suggère à la BCE des achats d'actions pour participer directement au financement à long terme de l'économie. Pas forcément d'actions d'entreprises cotées, mais via des participations au capital d'entreprises pour les financer (private equity). Une autre piste pour le comité des gouverneurs serait de contribuer au financement du plan de relance de l'investissement européen via le financement de la Banque européenne d'investissement (BEI) ou même directement du nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS).

Polémique sur la déflation

Nombreux sont ainsi les économistes qui en appellent à la créativité des banquiers centraux pour conjurer la menace d'une spirale déflationniste, dont il est très difficile de sortir quand elle s'est enclenchée. Mais tous ne partagent toutefois pas cet alarmisme. Pour Jean-Marc Daniel, on est loin de la déflation dure. Le tassement des prix serait surtout lié à la concurrence et au progrès technique, des facteurs structurels sains. "De 1726 à 1913, excepté pendant la période des assignats et de la Révolution, les prix ont baissé", rappelle-t-il. Ce qui n'a pas empêché l'économie de croître comme jamais auparavant. Aujourd'hui s'ajoute un phénomène purement statistique : pour comptabiliser le progrès technique, l'Insee enregistre, par exemple, une baisse de prix lorsqu'un forfait passe de la 3G à la 4G sans augmenter. Ce qui tend à faire surestimer la menace déflationniste. 
*Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, 1936
**The Optimum Quantity of Money and Other Essays, par Milton Friedman, 1969
La seule solution:


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