FAO: la faim n’est pas une « maladie incurable », déclare le pape François (traduction complète)
« Les guerres et les changements climatiques déterminent la faim »
« Les guerres et les changements climatiques déterminent la faim, par conséquent évitons de la présenter comme une maladie incurable », a déclaré le pape François.
Le pape François s’est rendu en visite au siège de la FAO à Rome, ce lundi matin 16 octobre 2017, à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de l’alimentation, consacrée cette année au thème : « Changer l’avenir de la migration. Investir dans la sécurité alimentaire et dans le développement rural. » Il a été accueilli apr le secrétaire général, M. José Graziano da Silva
Il faut, a-t-il dit, « protéger le droit de tous les êtres humains à se nourrir à la mesure de leurs besoins, en participant également aux décisions qui les concernent et à la réalisation de leurs aspirations, sans devoir se séparer de leurs proches ».
Voici notre traduction du discours prononcé en espagnol par le pape François devant les 194 représentants des pays membres de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Il a été salué par une ovation debout.
HG
Discours du pape François
Monsieur le Directeur Général,
Mesdames et Messieurs les Autorités,
Mesdames et Messieurs,
Je remercie pour l’invitation et pour les paroles de bienvenue du directeur général, le professeur José Graziano da Silva, et j’adresse des salutations chaleureuses aux représentants des États membres et à ceux qui ont la possibilité de se relier à partir des sièges de la FAO dans le monde. Mes salutations particulières vont aux ministres de l’agriculture du G7 ici présents, qui ont conclu leur Sommet au cours duquel ont été discutées des questions qui requièrent une responsabilité non seulement envers le développement et la production, mais aussi à l’égard de la communauté internationale dans son ensemble.
1. La célébration de cette Journée mondiale de l’alimentation nous voit ici réunis pour rappeler ce 16 octobre 1945, quand les gouvernements, décidés à éliminer la faim grâce au développement du secteur agricole, instituèrent la FAO. C’était une période de grave insécurité alimentaire et de grands déplacements de population, avec des millions de personnes à la recherche de lieux où pouvoir survivre à la misère et aux adversités causées par la guerre.
Réfléchir à la façon dont la sécurité alimentaire peut avoir une incidence sur la mobilité humaine signifie donc repartir de l’engagement pour lequel la FAO est née, pour le renouveler. La réalité d’aujourd’hui demande une plus grande responsabilité à tous les niveaux non seulement pour garantir la production nécessaire ou une distribution équitable des fruits de la terre – ceci devrait être acquis – mais surtout pour protéger le droit de tous les êtres humains à se nourrir à la mesure de leurs besoins, en participant également aux décisions qui les concernent et à la réalisation de leurs aspirations, sans devoir se séparer de leurs proches.
Devant un objectif de cette portée, est en jeu la crédibilité de tout le système international. Nous savons que la coopération est toujours plus conditionnée par des engagements partiaux, qui limitent carrément désormais aussi les aides en cas d’urgence. Et pourtant, le fait de mourir de faim ou d’abandonner sa terre est une nouvelle quotidienne qui risque de provoquer l’indifférence. Il est donc urgent de trouver de nouvelles voies pour transformer les possibilités dont nous disposons en une garantie qui permette à chacun de regarder l’avenir avec une confiance fondée et pas seulement avec des désirs.
La scène des relations internationales montre une capacité croissante de donner des réponses aux attentes de la famille humaine, y compris par l’apport de la science et de la technique qui, en étudiant les problèmes, proposent des solutions adéquates. Et pourtant, ces nouveaux objectifs ne réussissent pas à éliminer l’exclusion d’une grande partie de la population mondiale : combien sont les victimes de la malnutrition, des guerres et des changements climatiques ? Combien manquent de travail et des biens essentiels et se voient contraints à quitter leur terre, s’exposant à de nombreuses et terribles formes d’exploitation ? Valoriser la technologie au service du développement est certainement une voie à parcourir, pourvu que l’on arrive à des actions concrètes pour diminuer le nombre des affamés ou pour gouverner le phénomène des migrations forcées.
2. La relation entre faim et migrations ne peut être affrontée que si nous allons à la racine du problème. À ce propos, les études menées par les Nations Unies, ainsi que par de nombreuses Organisations de la société civile, s’accordent à dire qu’il y a deux obstacles principaux à dépasser : les conflits et les changements climatiques.
Comment peut-on surmonter les conflits ? Le droit international nous indique les moyens pour les prévenir ou les résoudre rapidement, évitant qu’ils se prolongent et produisent des famines et la destruction du tissu social. Pensons aux populations meurtries par des guerres qui durent désormais depuis des décennies et qui pouvaient être évitées ou au moins arrêtées et qui, au contraire, propagent leurs effets désastreux, dont l’insécurité alimentaire et le déplacement forcé de personnes. Il faut de la bonne volonté et un dialogue pour freiner les conflits et il faut s’engager à fond pour un désarmement graduel et systématique, prévu par la Charte des Nations Unies ainsi que pour remédier à la plaie funeste du trafic des armes. À quoi sert-il de dénoncer que des millions de personnes sont victimes de la faim et la malnutrition à cause des conflits si l’on ne s’emploie pas efficacement pour la paix et le désarmement ?
Quant aux changements climatiques, nous en voyons tous les jours les conséquences. Grâce aux connaissances scientifiques, nous savons comment il faut affronter les problèmes ; et la communauté internationale a élaboré aussi des instruments juridiques nécessaires comme, par exemple, l’Accord de Paris duquel certains pourtant s’éloignent. Nous voyons réémerger la négligence envers les délicats équilibres des écosystèmes, la présomption de manipuler et de contrôler les ressources limitées de la planète et l’avidité du profit. Il faut cependant un effort pour un consensus concret et actif si l’on veut éviter des effets plus tragiques qui continueront à peser sur les personnes les plus pauvres et les plus sans défense. Nous sommes appelés à proposer un changement dans les styles de vie, dans l’usage des ressources, dans les critères de production jusqu’au biens de consommation qui, en ce qui concerne les aliments, voient des pertes et des gaspillages croissants. Nous ne pouvons pas nous résigner en disant : « les autres y penseront ».
Je pense que ce sont les présupposés de tout discours sérieux sur la sécurité alimentaire liée au phénomène des migrations. Certes, les guerres et les changements climatiques déterminent la faim, par conséquent évitons de la présenter comme une maladie incurable. Les récentes estimations fournies par vos experts prévoient une hausse de la production globale de céréales, à des niveaux qui permettent de donner davantage de consistance aux réserves mondiales. Ceci laisse bien augurer et fait comprendre que les résultats ne manquent pas si l’on agit en étant attentif aux besoins et en empêchant les spéculations. En effet, les ressources alimentaires sont souvent laissées à la merci de la spéculation qui ne les mesure qu’en fonction de la prospérité économique des grands producteurs ou en relation avec le potentiel de consommation et non avec les exigences réelles des personnes. Et c’est ainsi que l’on favorise les conflits et les gaspillages et qu’augmente la file des plus petits de la terre qui cherchent un avenir en dehors de leur territoire d’origine.
3. Devant tout cela, nous pouvons et nous devons inverser la roue (cf. enc. Laudato si’, 63 ; 61 ; 163 et 202). Devant l’augmentation de la demande d’aliments, il est indispensable que les fruits de la terre soient disponibles pour tous. Pour certains, il suffirait de diminuer de nombre de bouches à nourrir et de réduire ainsi le problème ; mais c’est une fausse solution si l’on pense aux niveaux de gaspillage d’aliments et aux modèles de consommation qui gaspillent tant de ressources. Réduire est facile ; partager, en revanche, impose une conversion et ceci est exigeant.
C’est pourquoi je me pose – et je vous pose – cette question : est-ce trop d’introduire dans le langage de la coopération internationale la catégorie de l’amour, déclinée en gratuité, parité dans le traitement, solidarité, culture du don, fraternité, miséricorde ? En effet, ces mots expriment le contenu pratique du terme « humanitaire », si employé dans l’activité internationale. Aimer ses frères et le faire en premier, sans attendre d’être payé en retour : c’est un principe évangélique qui trouve un écho dans de nombreuses cultures et religions et qui devient un principe d’humanité dans le langage des relations internationales. Il est souhaitable que la diplomatie et les Institutions multilatérales alimentent et organisent cette capacité d’aimer, parce que c’est la voie maîtresse qui garantit non seulement la sécurité alimentaire mais la sécurité humaine dans sa globalité. Nous ne pouvons pas œuvrer uniquement si les autres le font, ni nous limiter à avoir pitié parce que la pitié s’arrête aux aides d’urgence, tandis que l’amour inspire la justice et est essentiel pour réaliser un ordre social juste entre des réalités différentes qui veulent courir le risque de la rencontre réciproque. Aimer veut dire contribuer afin que tous les pays augmentent leur production et parviennent à l’autosuffisance alimentaire. Aimer se traduit dans le fait de penser de nouveaux modèles de développement et de consommation, et dans l’adoption de politiques qui n’aggravent pas la situation des populations moins avancées ou leur dépendance extérieure. Aimer signifie ne pas continuer à diviser la famille humaine entre ceux qui ont du superflu et ceux qui manquent du nécessaire.
L’effort de la diplomatie nous a montré, y compris lors d’événements récents, que stopper le recours aux armes de destruction massive est possible. Nous sommes tous conscients de la capacité de destruction de ces instruments. Mais sommes-nous tout aussi conscients des effets de la pauvreté et de l’exclusion ? Comment arrêter des personnes disposées à tout risquer, des générations entières qui peuvent disparaître parce qu’elles manquent du pain quotidien ou qu’elles sont victimes de violence ou des changements climatiques ? Elles se dirigent là où elles voient une lumière ou perçoivent une espérance de vie. Elles ne pourront pas être arrêtées par des barrières physiques, économiques, législatives ou idéologiques : seule une application cohérente du principe d’humanité pourra le faire. Et au contraire, l’aide publique au développement diminue et les Institutions multilatérales sont limitées dans leur activité, tandis que l’on a recours à des accords bilatéraux qui subordonnent la coopération au respect d’agendas et d’alliances particulières ou, plus simplement, à une tranquillité momentanée. Au contraire, la gestion de la mobilité humaine requiert une action intergouvernementale coordonnée et systématique, conduite selon les normes internationales existantes et imprégnée d’amour et d’intelligence. Son objectif est une rencontre entre peuples qui enrichisse tout le monde et qui génère l’union et le dialogue, et non l’exclusion et la vulnérabilité.
Ici, permettez-moi de me relier au débat sur la vulnérabilité qui, au niveau international, divise lorsque l’on parle des migrants. Vulnérable est celui qui est en situation d’infériorité et qui ne peut se défendre, qui n’a pas les moyens, c’est-à-dire qu’il vit une exclusion. Et ceci parce qu’il est contraint par la violence, par des situations naturelles ou, pire encore, par l’indifférence, par l’intolérance et même par la haine. Devant cette situation, il est juste d’identifier les causes pour agir avec la compétence nécessaire. Mais il n’est pas acceptable que, pour éviter de s’engager, on se retranche derrière des sophismes linguistiques qui ne font pas honneur à la diplomatie mais la réduisent, d’un « art du possible » à un exercice stérile pour justifier les égoïsmes et l’inactivité. Il est souhaitable que l’on tienne compte de tout cela dans l’élaboration du Pacte mondial pour une migration sûre, régulière et ordonnée, en cours en ce moment au sein des Nations Unies.
Tendons l’oreille au cri de tant de nos frères marginalisés et exclus : « J’ai faim, je suis étranger, nu, malade, enfermé dans un camp de réfugiés ». C’est une question de justice, non une supplique ou un appel d’urgence. Il faut un dialogue ample et sincère à tous les niveaux pour qu’émergent les situations les meilleures et que mûrisse une nouvelle relation entre les différents acteurs sur la scène internationale, faite de responsabilité réciproque, de solidarité et de communion.
Le joug de la misère généré par les déplacements souvent tragiques des migrants peut être ôté à travers une prévention faite de projets de développement qui créent du travail et une capacité de réponse aux crises climatiques et environnementales. La prévention coûte bien moins que les effets provoqués par la dégradation des terrains ou par la pollution des eaux, effets qui frappent les zones névralgiques de la planète où la pauvreté est la seule loi, les maladies sont en augmentation et l’espérance de vie diminue.
Nombreuses et louables sont les initiatives mises en œuvre. Cependant, elles ne suffisent pas ; il est nécessaire et urgent de continuer à faire des efforts et à financer des programmes pour affronter de manière encore plus efficace et prometteuse la faim et la misère structurelle. Mais si l’objectif est de favoriser une agriculture qui produise en fonction des exigences effectives d’un pays, alors il n’est pas licite de soustraire les terres cultivables à la population, en laissant le « land grabbing » (l’accaparement des terres) continuer de faire son profit, peut-être avec la complicité de ceux qui sont appelés à veiller à l’intérêt du peuple. Il faut éloigner les tentations d’agir au profit de groupes restreints de la population ou d’utiliser les apports extérieurs de manière inadéquate en favorisant la corruption ou en l’absence de légalité.
L’Église catholique, avec ses institutions, ayant une connaissance directe et concrète des situations à affronter et des besoins à combler, veut participer directement à cet effort en vertu de sa mission qui la pousse à aimer tout le monde et qui l’oblige aussi à rappeler à ceux qui ont des responsabilités nationales et internationales, leur devoir plus large de partager les nécessités des plus pauvres.
Je désire que chacun découvre, dans le silence de sa foi ou de ses convictions, les motivations, les principes et les apports pour donner à la FAO et aux autres Institutions intergouvernementales, le courage d’améliorer et de persévérer pour le bien de la famille humaine.
Merci !
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat