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NON au diagnostic préimplantatoire, non à l'eugénisme

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NON au diagnostic préimplantatoire

Un des quatre objets au menu des votations fédérales du 14 juin concerne la procréation médicalement assistée (PMA) et, en particulier, l’autorisation ou non du « diagnostic préimplantatoire » (DPI).
L’objet direct de la votation est une modification de seulement quelques mots à la dernière ligne de l’art. 119 al. 2 lettre c de la Constitution fédérale. Le texte actuel dispose : « (…) ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu’au stade d’embryon que le nombre d’ovules humains pouvant être immédiatement implantés ». La modification proposée prévoit quant à elle : « (…) ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu’au stade d’embryon que le nombre d’ovules humains nécessaires à la procréation médicalement assistée ». Soit le remplacement des quatre derniers mots par six autres mots.
Bien que cette modification de quelques mots ne soit déjà pas anodine en elle-même, l’objet indirect de la votation est bien plus vaste. En effet, si la modification constitutionnelle est approuvée, une refonte de la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA), d’ores et déjà approuvée par le Parlement fédéral, entrera en vigueur, à moins que le référendum soit lancé contre elle. En revanche, si la modification constitutionnelle est refusée, cette refonte de la LPMA passera à la trappe.
Avant de passer en revue les principales modifications apportées à la LPMA, il est nécessaire de rappeler les premières étapes de la conception. Tout commence par l’« imprégnation », c’est-à-dire la pénétration du spermatozoïde dans l’ovule. Il faut attendre une quinzaine d’heures pour que les noyaux de ces deux cellules fusionnent. Avant la fusion des noyaux, on parle d’« ovule imprégné » ; à partir de la fusion des noyaux, on parle d’« embryon ». La « migration » de l’embryon dans la trompe en direction de l’utérus dure environ cinq jours. Aux alentours du sixième jour intervient la « nidation » de l’embryon dans l’utérus.
Conformément à la Constitution, la loi actuelle dispose : « Ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu’au stade d’embryon que le nombre d’ovules imprégnés nécessaire pour induire une grossesse durant un cycle de la femme ; ce nombre ne peut être supérieur à trois. » (art. 17 al. 1 LPMA) Il est interdit de développer in vitro un embryon au-delà du stade propice à la nidation (al. 2). Il est également interdit de congeler des embryons (al. 3). La loi actuelle autorise la congélation d’ovules imprégnés, mais seulement pour une durée de cinq ans (art. 16). Enfin, la loi actuelle prohibe le DPI : « Le prélèvement d’une ou plusieurs cellules sur un embryon in vitro et leur analyse sont interdits. » (art. 5 al. 3)
A l’origine, les techniques de PMA ont été développées pour résoudre certains problèmes de stérilité et permettre ainsi à certains couples qui en sont empêchés d’avoir des enfants. Puis, le développement du « génie génétique » a permis de trouver dans les gènes l’origine de certaines maladies.
Le but du DPI est de soumettre les embryons à un « contrôle de qualité » avant de les implanter dans le corps de la femme, pour éviter que se pose ultérieurement la délicate question de l’éventuel avortement d’un embryon « défectueux ». Alors que le Conseil fédéral souhaitait réserver le recours au DPI aux couples dont l’un des membres se sait porteur d’une grave maladie héréditaire (entre 50 et 100 cas par année), le Parlement a choisi d’ouvrir le DPI à tous les couples qui recourent à la PMA (environ 6 000 cas par année), même à ceux qui y recourent à cause d’un « simple » problème de stérilité, sans que l’un ou l’autre membre du couple ne soit porteur d’une grave maladie héréditaire. On peut parier que, à brève échéance, des couples qui n’ont ni problème de stérilité ni maladie héréditaire grave revendiqueront, au nom de l’égalité de traitement, le droit de recourir à la PMA et au DPI, dans le but de s’assurer que leur enfant sera « génétiquement correct ».
Dans l’état actuel de la technique, pour qu’une PMA avec DPI ait des chances raisonnables de déboucher sur une naissance, il faut développer au moins une dizaine d’embryons in vitro.
La nouvelle loi ferait donc sauter les principaux garde-fous contenus dans la loi actuelle :
– on pourrait développer in vitro jusqu’à douze embryons ;
– les embryons pourraient être congelés ;
– la durée de conservation serait allongée à dix ans.
Avec 6’000 traitements par année et une réglementation aussi laxiste, nous aurions rapidement en Suisse des dizaines de milliers d’embryons congelés, dont les neuf dixièmes seraient condamnés à une triste fin (art. 16 al. 4 de la nouvelle loi) : soit leur destruction pure et simple, soit leur utilisation pour la recherche scientifique…
Au motif d’« épargner aux couples une décision difficile » (p. 12 de la brochure explicative du Conseil fédéral) – celle d’avorter ou non un embryon « défectueux » –, on donne à un scientifique dans son laboratoire le pouvoir de décider de la vie et de la mort des embryons : c’est lui qui va juger souverainement lesquels sont dignes de vivre, lesquels sont condamnés à la mort immédiate et lesquels obtiennent le sursis de la congélation.
En outre, le comité d’opposition interpartis à la modification constitutionnelle fait valoir l’argument suivant: « Aujourd’hui déjà, les parents sont soumis à une forte pression de justification lorsqu’ils refusent d’avoir recours à un examen prénatal ou refusent une interruption de grossesse malgré un embryon non conforme à la norme. […] La seule mise à disposition de la procédure du DPI engendrera une pression sociale pour l’utiliser. » L’autorisation du DPI renforcerait à coup sûr la mentalité eugéniste de notre société.
Enfin, il faut le dire clairement : au lieu d’éliminer la maladie, le DPI élimine le malade. C’est donc le contraire même d’un acte médical.
Pour tous ces motifs, nous voterons NON au diagnostic préimplantatoire2.
Denis RameletLa Nation n° 201815 mai 2015
Notes:
Pour de plus amples développements sur les enjeux éthiques du DPI, voir : François- Xavier Putallaz, « Les enjeux du diagnostic préimplantatoire »,Nova et Vetera, n° 90/1, janvier-mars 2015, accessible en ligne : 

Les enjeux du diagnostic préimplantatoire

1. Introduction

Au début, il y a la souffrance des couples qui craignent de transmettre à leur futur enfant une affection d’origine génétique lourde dont ils se savent porteurs : une fibrose kystique, ou une atrophie musculaire par laquelle l’enfant mourra à un âge précoce. Le Diagnostic préimplantatoire (DPI) offre une solution à ces dilemmes, qui sont autant de drames contre lesquels lutter, en mettant à disposition le meilleur du savoir technique disponible et l’accompagnement humain dont chacun est capable.
Mais est-ce à n’importe quel prix ? Je voudrais relever cinq enjeux du DPI, montrant que la prévention des maladies ne justifie pas qu’on porte atteinte à la dignité des humains.
Le DPI est une technique à but médical « par laquelle les embryons provenant de la fécondation artificielle sont analysés sur un plan génétique » avant tout transfert dans l’utérus : « Les informations obtenues au sujet de leur prédisposition génétique » conduisent à les trier, les sélectionner, et décider soit d’en transférer certains, soit de les écarter ou les détruire. « L’objectif principal de cette technique est d’assurer que l’enfant à naître ne sera pas porteur d’une affection d’origine génétique dont les parents sont porteurs[1]. »

2. Les variantes du DPI

Beaucoup de voix s’expriment en faveur d’une légalisation du DPI, aujourd’hui interdit en Suisse en raison de la Constitution  qui  précise que « ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu’au stade d’embryon que le nombre d’ovules humains pouvant être immédiatement implantés[2] ».
Une modification de la Constitution requiert en Suisse une votation, dans le courant de cette année 2015, dont l’issue semble courue d’avance : une majorité probablement acceptera la nouvelle formulation plus large, permettant de développer jusqu’au stade d’embryon « le nombre d’ovules humains nécessaire à la procréation médicalement assistée », mais seulement ce nombre[3].
Le projet suisse consiste à n’autoriser le DPI que « lorsque le danger de voir le couple parental se trouver dans une situation intolérable parce que l’enfant à concevoir sera atteint avec une forte probabilité d’une maladie héréditaire grave ne peut être écarté autrement[4] ». On notera d’emblée qu’il s’agit d’une probabilité. J’y reviendrai.
Quand le peuple aura été favorable à une autorisation du DPI, on modifiera conséquemment la Loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA) : d’une part, la règle selon laquelle on ne peut développer plus de trois embryons par cycle sera abrogée pour le DPI, afin de relever le nombre à 12 embryons, chiffre contesté par plusieurs milieux scientifiques, et fixé plutôt pour des raisons d’égalité de chance entre tous les couples ayant recours à la fécondation in vitro (FIV). D’autre part, on autorisera la congélation des embryons pour toute FIV.
Alors que le Conseil fédéral estimait à quelque 50-100 couples qui pourraient être annuellement concernés, l’élargissement des indications voulu par le Parlement, notamment en raison du dépistage de la trisomie, implique que ce nombre sera beaucoup plus élevé : certains milieux officiels l’estiment à  environ mille cas par année, sur une totalité d’environ 6000 fécondations in vitro[5].
Mais le DPI peut s’utiliser à de tout autres fins que celles que je viens d’énoncer :
1. D’abord le Diagnostic peut se transmuer en Dépistage systématique ou screening. Des voix déjà réclament de telles extensions : pourquoi ne pas utiliser le DPI pour chaque FIV afin de rassurer les parents inquiets et d’éliminer tous les embryons susceptibles de développer une grave maladie ?
2. Ensuite d’autres caractéristiques d’origine génétique peuvent être isolées afin de trier les embryons : le sexe, par exemple. Ou alors on peut produire ce que le langage journalistique appelle un « bébé-médicament », ou typage HLA, sélectionnant les futurs enfants en raison de caractéristiques tissulaires permettant une transplantation de cellules hématopoïétiques sur un aîné malade.
3. On peut aussi déceler certaines anomalies chromosomiques empêchant le bon développement embryonnaire ; le but serait alors seulement d’augmenter le taux de réussite de la FIV.
Le Conseil fédéral veut interdire de telles extensions du DPI pour des raisons évidentes : on entrerait dans un processus eugénique ayant de graves conséquences pour la société. Et c’est le premier enjeu : un enjeu de société, que l’on appelle « pente glissante ». Une fois posé le pied sur la pente, on jure tous les dieux de ne jamais aller plus loin ; mais à peine le mouvement est-il engagé qu’il s’enchaîne irrésistiblement : aucune disposition légale ni aucune promesse ne le retiennent.
Il est de grande naïveté d’imaginer éviter que le DPI ne s’étende pas à ces trois pratiques. Le signe en est que des pays comme la France ou l’Espagne, après avoir légalisé le DPI, ont été conduits à en élargir les indications 10 ans plus tard, et à autoriser le bébé-médicament par exemple. Aucun garde-fou n’y fait rien. Il en allait de même en Suisse, dans les discussions au Parlement : les limites n’étaient pas encore posées qu’on se proposait de les dépasser[6]. Ce n’est finalement qu’une question de temps, car la machine est enclenchée, selon l’imparable logique suivante : dans le cas du « bébé-médicament », puisque l’on fait de la souffrance le critère présidant au choix, pourquoi la souffrance d’un petit enfant immunodéficient, qui vit sous une bulle, et celle de ses parents effondrés, serait-elle moins respectable que la souffrance de couples inquiets de transmettre une grave maladie ? Si on autorise le DPI dans ce dernier cas, il faut conséquemment l’autoriser dans le premier[7].
Qu’on ne se méprenne pas : il est très probable qu’un enfant conçu par typage HLA, c’est-à-dire choisi dans le but de servir à son grand frère ou sa sœur, sera finalement aimé pour lui-même, et autant que n’importe quel autre enfant. D’ailleurs, parmi les multiples raisons qui poussent les parents à « avoir un enfant », cette motivation médicale n’est probablement pas la pire : les plus mauvaises motivations ne peuvent-elles se transfigurer par amour ?
Non, le problème est ailleurs : il tient au fait que les autres embryons, embryons sains de surcroît, sont détruits purement et simplement : dans ce sens, le typage HLA constitue une instrumentalisation technicienne de la vie humaine prénatale, qui la transforme en objet, mis au service des préférences plus ou moins justifiées des parents.
Si j’ai commencé par les extensions du DPI, c’est qu’elles sont révélatrices : elles mettent en pleine lumière la logique interne de cette technique : ce n’est pas dans ses écarts seulement que le DPI ne respecte pas la dignité humaine, c’est dans sa logique même : il est un processus qui en lui-même implique une sélection ou un tri. Autrement dit : ce qui est aujourd’hui considéré comme une dérive trouve son origine dans le processus même du DPI, et c’est pourquoi l’accepter c’est déjà admettre nécessairement ce qui viendra ensuite, selon la logique interne de la pente glissante.
C’est donc le processus du DPI lui-même qu’il faut questionner.

3. La logique interne du DPI

3.1. Une sélection
On l’a compris : le DPI implique structurellement une sélection et un tri d’embryons, dont la plupart sont détruits, ou congelés, ou consommés pour la recherche. C’est pourquoi plusieurs questions portent sur le processus même.
(A) Il supprime non seulement des embryons qui n’auraient aucune chance de se développer, mais des embryons sains. En effet, le DPI diagnostique notamment une simple prédisposition à développer plus tard une grave maladie : « En effet les analyses génétiques qui sont concernées par la réglementation (…) ne peuvent servir au diagnostic des maladies qui se sont déjà déclarées ; ni les gamètes ni les embryons in vitro ne sont malades. Le résultat de l’analyse ne peut qu’amener à la détection ou non d’uneprédisposition génétique déterminée qui pourrait conduire à une maladie dans le futur, avec une certaine probabilité[8]. » Cette probabilité est fixée à 25% et la maladie probable doit se déclarer avant l’âge de 50 ans[9].
Et nous voici renvoyés à la question de la nature de l’embryon humain. La revue Nova et Vetera y a consacré de nombreuses études, qui conduisent toutes à un respect de l’embryon humain dès la conception. Je rappellerai simplement que, en cas de doute sérieux sur la nature du produit de la génération humaine, le fardeau de la preuve appartient à ceux qui pensent que l’embryon n’est pas du tout une personne. À ma connaissance, pareille preuve n’a jamais été apportée, et c’est pourquoi le principe de précaution impose ici de le traiter « comme une personne »[10].
(B) Un autre point inquiétant tient au processus de sélection, car on se donne le pouvoir exorbitant de décider quelle vie vaut la peine d’être vécue, et laquelle ne le vaut pas, supposant au passage que l’humain se réduirait à son génome ou à son bagage génétique. C’est un deuxième enjeu, proprement anthropologique.
Accueillir la vie, c’est l’accueillir dans sa totalité, car l’être humain est un tout unitaire, constitué de matière biologique structurée par l’esprit : il est une personne, dont la nature le presse à connaître la vérité et à préférer le bien, en une relation constitutive avec autrui. C’est pourquoi l’humain n’est pas duel, avec une âme et un corps qui seraient comme deux morceaux juxtaposés : il est un, totalement biologique et totalement spirituel. Puisque le corps fait ‘partie’ intégrante de la personne, l’accueil de la vie requiert le soin de la personne totale, dans sa petitesse, dès le tout début : prendre soin des embryons, c’est déjà prendre soin de la personne, en un geste d’humanité naturelle.
C’est pourquoi il est ruineux de réduire la vie humaine à son génome, ou à sa structure matérielle objective, et de la mettre sur une balance comme si l’on soupesait des biens ou des intérêts divers ! Même un auteur comme Habermas, qui refuse l’idée de personnalité de l’embryon, est conduit à cette observation : « [Mais] nombre d’entre nous paraissent obéir à une intuition, à savoir que nous ne souhaitons pas que la vie humaine, même à son stade le plus élémentaire, soit soupesée pour être mise en balance, ni avec la liberté (…) de la recherche, (…) ni même avec le désir des parents d’avoir un enfant en bonne santé, ni enfin avec la perspective (envisagée pour l’instant sur arguments) de nouveaux types de traitements pour les déficits génétiques sévères[11]. »
(C) Soupeser les intérêts sur une balance est une manière d’instrumentaliser la vie humaine à ses débuts. Or, si on tient vraiment à parler d’ « intérêt » à la manière des utilitaristes, on relèvera la curiosité suivante : le DPI se fait toujours au bénéfice d’un tiers, mais jamais en faveur de l’enfant à naître.
Déjà évident pour le HLA, dont le premier bénéficiaire sera l’aîné, cette observation vaut pour tout DPI. On ne peut, sans cynisme ni contradiction, prétendre qu’il serait dans « l’intérêt » du futur enfant de ne pas naître ! Il ne peut être dans l’intérêt de personne de ne pas exister, du moment que l’existence est la condition même permettant d’éprouver un intérêt !
Voici par exemple l’affirmation qui fonde et rythme tout le rapport de la Commission nationale suisse d’éthique en 2005, justifiant le DPI, pourvu que les indications visent « l’évitement de maladies, ou de handicaps graves et menaçants, au bénéfice de l’être en devenir lui-même[12] ». Tournez la phrase en tout sens possible, vous trouverez qu’elle n’en a aucun. Simplement parce qu’elle est contradictoire. C’est, au passage, un troisième enjeu du DPI : ses justifications souvent heurtent la raison et blessent l’exigence de vérité. C’est là un grave enjeu culturel, témoin de la défaite de la pensée, puisque la raison se réduit à un rôle instrumental et renonce à sa dimension métaphysique. L’accueil joyeux de la vie passe aussi par l’accueil de la vérité qui fait vivre l’intelligence et la nourrit dans sa saveur de sagesse.
3.2. Comment déterminer le seuil de graves maladies ?
Dans la forme négative de l’eugénisme que véhicule le DPI, on accorde comme allant de soi qu’il n’est justifié qu’en cas de maladie grave[13]. Reste à établir le seuil d’une maladie grave ! Or cette notion de gravité pose une difficulté si on veut l’appliquer au DPI, car deux solutions se présentent, qui toutes deux restent gravement insatisfaisantes :
1° Soit on laisse aux parents toute latitude dans la décision, de façon qu’ils deviennent, eux, la norme de gravité d’une maladie, en fonction de leur subjectivité. Cette option conduit au pur arbitraire, à une pratique variable qui répugne à la médecine et à l’importance du choix. Par là même, on peut imaginer glisser vers des décisions de confort[14].
2° Soit une autre option consiste à dresser une liste de handicaps, ou un seuil de maladies considérées comme suffisamment graves, pour justifier un DPI. Outre le fait qu’un tel seuil ne peut être fixé de manière objective, l’effet serait dévastateur, puisqu’une telle liste signifierait aux personnes vivant actuellement avec ces handicaps qu’il aurait mieux valu qu’elles ne vivent pas. Une telle stigmatisation de personnes fragiles suscite la juste réaction des associations de personnes ou de parents de personnes handicapées.
Il faut reconnaître que, conscient de ces difficultés, le Conseil fédéral propose une solution à la jointure des deux options : d’abord il établit des critères permettant de considérer une maladie comme grave[15], mais sans jugement. C’est ensuite à l’intérieur de ce cadre fixé qu’intervient la liberté des parents, lesquels jugeront en conscience si cela leur paraît supportable ou intolérable.
La solution est ingénieuse, mais tente vainement de résoudre la quadrature du cercle : car on n’échappe pas au subjectivisme. Elle est si subtile, cette ‘solution’, que personne ne s’y tient. La preuve, c’est que dans le projet de loi adopté, le Parlement a ajouté la Trisomie 21. N’ayant pas compris la finesse du projet du Conseil fédéral, les députés ont donc fait mention d’un handicap particulier. L’effet est dévastateur : d’une part on stigmatise les personnes vivant actuellement avec une Trisomie, d’autre part on a la preuve de la pente glissante, car il est impossible de maintenir la technique sélective dans les limites souhaitées. On voit combien le DPI se focalise sur le handicap et non sur la personne handicapée.
Tout à l’inverse, le souci humaniste et chrétien d’accueillir la vie réoriente notre regard sur la personne même, « seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ce qui est de plus noble dans la nature[16] », investie de toute la dignité humaine au-delà de son handicap, exigeant un soin tout particulier de la société et des lois à l’endroit des petits, des faibles et des enfants fragiles. Déjà le préambule de la Constitution rappelle avec vigueur que le peuple suisse est conscient « que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres ».

4. Objections et réponses

Malgré cela, le DPI sera pratiqué en Suisse. Or les raisons ne sont pas seulement émotionnelles : quand bien même il est difficile à quiconque de prendre la parole à la suite de forts témoignages que l’on ne manquera pas de présenter de la souffrance des gens, il y a bel et bien des arguments qui entraîneront l’adhésion de bien des gens.
4.1. Le Diagnostic prénatal (DPN) est autorisé, alors d’autant plus le DPI
Argument : la première objection répandue partout prétend que, puisque l’avortement est autorisé à la suite d’un DPN, alors autant pratiquer un DPI moins invasif et surtout moins traumatisant. On s’appuie donc sur la modification du Code pénal de 2002 pour effectuer un nouveau pas[17].
Réponse : cet argument cache un mauvais sophisme, car malgré leur similitude (élimination d’une vie humaine à ses débuts), les deux procédés sont de nature différente. Dans le cas du DPN, il existe une tension grave entre d’une part la volonté de la femme à l’auto-détermination, et d’autre part la nécessité de protéger l’embryon. Cette situation est donnée, et chacun comprend le drame qui consiste à la résoudre. Dans le cas du DPI au contraire, la situation est voulue, elle est provoquée : on choisit délibérément de produire plusieurs embryons dans le but de les détruire. L’intention est donc inscrite dans le processus technique, et non seulement dans l’intention subjective du couple, car c’est le DPI qui impose une sélection.
De plus, la barrière psychologique et spirituelle est plus forte dans le DPN, car l’avortement est invasif, et fait porter un poids très lourd à la conscience spontanée. Le DPI fait tomber cette barrière naturelle, et c’est pourquoi le relais doit être repris par l’éthique, de manière beaucoup plus intellectuelle, donc, en un sens, moins efficace. C’est pourquoi la vie naissante, pour être honorée, requiert une protection accrue de la société. Il n’est donc pas si absurde que la loi protège l’embryon in vitro davantage, ou autant, que le fœtus in utero, lequel jouit déjà d’une protection naturelle spontanée.
C’est un quatrième enjeu du DPI, d’ordre juridique : l’accueil de la vie requiert une protection juridique accrue qui, même si elle ne suffit pas à elle seule, joue un rôle efficace, jusque dans la formation des consciences.
4.2. La souffrance
Argument : mais l’objection rebondit, et prend une tonalité plus affective. « Préférez-vous, dira-t-on, qu’un couple potentiellement transmetteur d’une maladie grave, se voie interdit de DPI et tente une grossesse à l’essai, puis un DPN, quitte à avorter ? Est-ce cela que vous voulez ? Finalement votre position d’accueil de la vie ne revient-elle pas à une apologie de la souffrance ? »
Réponse : il ne s’agit pas de préférer une méthode à une autre, mais de choisir le moindre mal. Or pour un couple, il pourrait sembler, d’un point de vue psychologique et médical, que le moindre mal réside dans le DPI ; pour la société cependant, le DPI est évidemment plus grave, du fait qu’on induit une sélection au cœur même de la médecine, c’est-à-dire un véritable eugénisme négatif. Il est tout de même difficile de s’en réjouir. Même un auteur comme Jürgen Habermas avait relevé la gravité de cet enjeu. Le fait de soupeser la nécessité de protéger l’embryon – il en a besoin et cela lui est dû –, comme un bien évaluable, voilà qui « ouvre grand la porte à l’instrumentalisation de la vie humaine et à l’érosion du sens catégorique attaché aux requêtes morales[18] ». Aussi insiste-t-il sur « l’intégrité de la vie humaine en devenir, à laquelle aucune société civilisée ne peut toucher sans que cela entraîne des conséquences ».
Contrairement au conflit de conscience dans le cas d’une grossesse non désirée « les parents qui souhaitent avoir un enfant prennent une décision de procréer sous réserve (…). La sélection délibérée est fonction de l’appréciation de la qualité génétique d’un être humain et obéit à un désir d’optimisation[19] ». C’est pourquoi, comme le fait l’humanisme et comme y invite l’Église, l’accueil de la vie n’implique aucunement une apologie de la souffrance mais plus profondément une reconnaissance de la fragilité de cette vie humaine ; c’est cette vulnérabilité que le DPI s’emploie à masquer. Bien plus, « procréer sous réserve » relève de cette aspiration à revenir en arrière dans son choix, au lieu de se livrer avec confiance à un engagement définitif.

5. Conclusion

Argument : un dernier argument en faveur du DPI servira de conclusion, qui relève d’un dernier enjeu. La Suisse n’est pas une île au milieu de l’Europe ; or plusieurs pays environnants ont libéralisé le DPI depuis des décennies, y compris le typage HLA. La Suisse ne saurait en rester à sa position restrictive, sans favoriser un tourisme de la procréation médicalement assistée, auquel seuls les couples aisés pourront accéder : cette médecine à deux vitesses induit une injustice.
Réponse : l’enjeu est important, car la situation nous met comme devant un fait accompli. C’est là un problème redoutable, supposant une « force normative du factuel[20] ». Serions-nous mis en face de « faits accomplis sur lesquels il (semble) impossible de revenir d’un point de vue normatif » ? Cette tendance profonde qui, alors qu’on n’a que le mot ‘éthique’ à la bouche, ruine cependant l’éthique en la mettant à la remorque des faits et des techniques, est inquiétante pour le sens de notre humanité, laquelle semble dès lors plus être agie qu’avoir les moyens d’agir[21].
Or la Suisse ne craint pas de maintenir ses standards de qualité et des normes de sécurité sévères qui s’appliquent aux biens de production, ou aux denrées alimentaires ; la polémique autour du « Cassis de Dijon » montre que la Suisse n’est pas disposée à abaisser ses exigences les plus élevées, nonobstant le fait que beaucoup peuvent acheter des produits moins chers dans les zones frontalières. N’est-il pas choquant dès lors de se montrer plus pointilleux sur la qualité de tels produits que sur le respect de la vie humaine ? Dans ce sens, le DPI met en jeu une dimension politique importante. Non seulement on en décide dans les parlements, mais la question relève du fondement même du politique : en portant atteinte à l’intangible dignité humaine, on fragilise le cadre qui permet le fonctionnement démocratique. « Si les principes moraux qui sont sous-jacents au processus démocratique ne sont eux-mêmes déterminés par rien de plus solide qu’un consensus social, alors la fragilité du processus ne devient que trop évidente – là est le véritable défi pour la démocratie. » Ce propos du pape Benoît XVI devant le Parlement anglais[22] relève l’enjeu fondamental d’une absolutisation des droits de l’individu.
Pour nous, la joie d’accueillir la vie s’entend de la totalité de ce qui constitue la vie humaine :
accueil de la vie biologique, car la personne est une ;
accueil de la vie morale de la conscience ;
accueil de la vie de la raison nourrie de vérité ;
accueil de la vie collective, sociale et politique ;
et au cœur de tout cela, il y a l’accueil des plus petits et des plus vulnérables.
Mais cette analyse prend sens à condition que des témoins montrent que la vérité peut être vécue. Puissent-ils se lever au cœur même du débat politique.
François-Xavier Putallaz


[1] Ces citations sont tirées du message du Conseil fédéral, en Suisse, et adressé au Parlement le 7 juin 2013 (ci-après CF), p. 2. Le peuple suisse sera appelé aux urnes dans le courant de 2015, en raison de la modification d’un article constitutionnel relatif à la procréation médicalement assistée et au génie génétique dans le domaine humain. Si l’article est accepté, la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA) sera modifiée en conséquence. Le système suisse, dans cette deuxième phase, prévoit une possibilité de referendum.
L’important est de comprendre que les deux objets (Constitution et loi) sont liés. En effet, en 2014, les deux chambres fédérales du Parlement ont accepté le projet du Conseil fédéral, mais en élargissant (déjà) les limites dans lesquelles celui-ci voulait maintenir le DPI : notamment, le Conseil fédéral voulait l’interdire pour dépister une Trisomie 21, mais le Parlement en a décidé autrement. Cette ouverture très libérale pourrait-elle conduire le peuple suisse à juger que le projet va trop loin ?
[2] CST 119, al. 2, let. c.
[3] CF, 2.1., p. 65.
[4] CF, p. 3.
[5] Ces chiffres sont avancés dans le communiqué officiel du Parlement du 24 novembre 2014.
[6] C’est le cas par exemple de la majorité de la commission du Conseil des États chargée du dossier, et qui souhaite autoriser le « bébé-médicament ». Le Parlement n’a pas suivi cet avis, et la loi finale votée interdit tout typage HLA, vraisemblablement, selon le même communiqué, en raison du « couperet du vote populaire » !
[7] Si une partie des gens refusent cet écart, c’est en raison de l’instrumentalisation de la personne humaine en ses débuts. En effet, (quelles que soient les convictions concernant la nature de l’embryon humain) chacun porte en lui cette intuition qu’une vie humaine avant la naissance ne saurait être réduite à un « objet fabriqué » : la technique forcément considère comme objet ce sur quoi elle porte ; or lorsqu’elle porte sur l’homme et sur l’identité corporelle intrinsèque à sa substance, elle implique l’avenir de la personne, laquelle ne devrait pourtant en aucun cas être considérée comme objet fabriqué. Contrairement à l’éducation, on ne peut supposer ici que le futur enfant qui naîtrait ou le futur adulte donne à terme un consentement venant confirmer le choix des parents, puisque le DPI rend impossible une telle confirmation, du fait qu’il empêche la naissance de ceux qui ne seront pas sélectionnés : ceux-là n’auront rien à dire, puisqu’ils n’ont pas de futur.
[8] CF, 2.2, p. 67.
[9] CF, 2.2, p. 69.
[10] C’est une curiosité culturelle de voir comment, dans les débats sur le début de la vie ou sur le « droit de mourir », le fardeau de la preuve a changé de camp, sans qu’on y prenne garde. Ce sont à ceux qui réclament de nouveaux droits d’en établir le fondement dans un ordre juridique démocratique.
[11] Jürgen HabermasL’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, Paris 2002, p. 103.
[12] Commission nationale d’éthique pour la médecine humaineDiagnostic préimplatatoire. Position n° 10/2005, Berne 2005, p. 51. Pour en suivre une analyse détaillée, cf. Diagnostic préimplantatoire: questions d’éthique impertinentes, dans Nova et Vetera 83/1 (2008) 85-96 ; cette critique n’a jamais trouvé la moindre réponse.
[13] Qu’on n’oublie pas qu’il ne s’agit pas seulement de maladie, mais de simple prédisposition, et que la maladie en question est censée se déclarer avant la 50e année de vie de l’adulte.
[14] On rétorquera que de tels propos sont irrespectueux des parents, lesquels mesurent leur responsabilité, et ne pratiqueront jamais de DPI qu’en cas de maladies sévères et très lourdes. Il semble qu’il y ait quelque naïveté à une telle assurance dans le cadre de notre société de consommation, au point que le Conseil fédéral ne retient justement pas cette option trop risquée. De surcroît c’est oublier un peu vite les leçons de l’histoire. Lorsque les ultra-libéraux, tels Rorty, pariaient que « la liberté et la vérité veilleront sur elles-mêmes », le Cardinal Ratzinger rétorquait  que là « il se trompe tout simplement », car de telles intuitions de respect de la personne humaine ont été plusieurs fois exclues de la sensibilité dominante durant les siècles, et rien ne garantit qu’elles vont perdurer : « L’histoire, poursuit le cardinal Ratzinger en parlant de Rorty, a montré de manière dramatique qu’il est facile de fourvoyer [la majorité] et de la manipuler, et que la liberté peut être détruite précisément au nom de la liberté. » Cardinal JosephRatzingerValeurs pour un temps de crise. Relever les défis de l’avenir, Paris 2005, p. 37. « Mais les majorités aussi peuvent être aveugles ou injustes. L’histoire ne le montre que trop. » Cardinal Joseph Ratzinger, « Démocratie, droit et religion », dans J. Habermas-J. Ratzinger, « Les fondements prépolitiques de l’État démocratique », Esprit 306, juillet 2004, p. 21.
[15] Six critères sont avancés : douleurs résistantes, limitations de la motricité, dépendance, sévères limitations cognitives, limitation de l’émotionnalité et l’affectivité, limitation de la liberté de mouvement. Cf. CF, 2.2, p. 68-69.
[16] Concile Vatican IIGaudium et spes, n. 24/3.
[17] C’est exactement la définition de la « pente glissante » : on prend appui sur une situation acquise, afin de franchir une nouvelle étape inexorable. Lorsque cette pratique est délibérée, on l’appelle vulgairement « tactique du salami ».
[18] Jürgen HabermasL’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, Paris 2002, p. 59.
[19] Ibid., p. 142.
[20] Ibid., p. 33. Si je cite plusieurs fois Habermas, ce n’est pas que je partage sa conception philosophique, mais pour montrer que des penseurs aussi éloignés de la ligne doctrinale d’une revue comme Nova et Vetera, ont été conduits par de tout autres chemins à des conclusions qui n’en sont pas éloignées. C’est là un beau témoignage à la vérité, quel que soit celui qui l’énonce.
[21] Le sens de l’accueil des petits conduira de plus en plus souvent les chrétiens à se rebiffer devant ce défaitisme, quitte à entrer dans de nouvelles logiques d’objection de conscience. Le souffle évangélique y aidera à coup sûr.
[22] Rencontre avec le Parlement et la British Society, Allocution du Saint-Père Benoît XVI, du 17 septembre 2010.


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