Comme dans la vie – et dans les procédures judiciaires – il arrive souvent que les intervenants en disent trop ou pas assez. Un mot, une explication, est lâché de trop et c’est toute la crédibilité de l’argumentaire qui est mise à néant. Voilà exactement ce que viennent de nous offrir les autorités genevoises en ce jour de conférences de presse.
Parce qu’à la lecture des événements que font les uns et les autres il y a quelque chose qui ne va pas. Il y a des contradictions majeures qui devraient être rapidement expliquées si l’on veut prétendre à une garantie crédible du scrutin du 19 mai.
Comment le procureur général peut-il affirmer qu’il n’a pas découvert d’indices de fraude en l’état de l’enquête et puis dire ensuite, je cite, que des caisses entières d’enveloppes de vote ont peut-être été jetées ? Ici, il en dit trop ou pas assez.
Voici l’extrait de la conférence de presse du 13 mai 2019 du Procureur général du Canton de Genève, Mr Olivier Jornot :
Journaliste : Vous avez dit qu’à ce stade vous n’avez aucun élément pour dire qu’il y aurait eu des votations affectées par une fraude. Mais est-ce que vous avez des éléments pour dire qu’il y aurait eu des votations affectées, pas forcément par une fraude, mais par de la mauvaise gestion, ou justement ces bulletins qui se retrouvent à la poubelle on ne sait pas trop comment, et y compris pour cette votation-là ?
Procureur : Alors précisément, c’est peut-être plus dans ce sens-là que je distinguais la tâche d’enquête pénale de la tâche d’audit, en ce sens que personnellement je ne vais pas vérifier si les processus sont suffisamment bien construits pour éviter, par exemple, que l’on jette des caisses entières de bulletins (de, de matériel de vote) d’enveloppes pleines que l’on croyait vides -- ce genre de situation ne relève pas du droit pénal, et donc je ne vais pas investiguer là-dessus.
II se trouve que, me dit-on, cela a pu se produire, respectivement que des collaborateurs ont tiré les signaux d’alarmes en disant attention, notre processus ne garantit pas, à la sortie, que les matériels de vote, que les enveloppes jetées soient vides, l’un de ceux qui a tiré le signal d’alarme à ce sujet c’est le prévenu.
Le procureur dit ainsi qu’il a pu se produire que des caisses entières d’enveloppes de vote aient été jetées. Et le conseil d’Etat de conclure : vous voyez il n’y a rien à voir, rien de pénal, tout va bien…
Mais de qui se moque-t-on ?
Toute personne qui recourt à la justice sait que pour clamer la vérité il faut des preuves, faute de quoi le juge n’entrera même pas en matière. Le procureur du canton de Genève le sait mieux que personne, et c’est pourquoi l’on peut comprendre qu’il dit ici deux choses : la première c’est qu’il n’a pas pu réunir à ce stade de preuves au sens judiciaire du terme (ce qui par ailleurs n’exclut pas que des fraudes aient eu lieu, une chose peut avoir eu lieu sans qu’on puisse judiciairement le prouver), la seconde est qu’il a pu constater qu’il était possible que des caisses entières d’enveloppes de vote aient pu être jetées, et c’est cela qui est le véritable scandale.
Que des caisses d’enveloppes de vote pleines aient tout simplement pu être jetées. Et l’on pense alors inévitablement à ces près de 9'000 voix manquantes aux souverainistes à Genève lors des élections de 2018 [1].
On peut faire confiance à certains hommes et femmes politiques de notre pays, et à leur entourage, pour savoir comment agir en se faufilant dans les zones grises du droit sans se faire attraper.
Si l’on comprend bien, la procédure de dépouillement des votes était faite de telle manière que l’on pouvait confondre des caisses d’enveloppes pleines avec des caisses d’enveloppes vides ? Que l’on pouvait jeter l’une pour l’autre ? Sans blagues ? Comme c’est facile. Vous nous en direz tant.
Oh ce n’est pas nous, on n’a pas fait exprès. C’était juste de la négligence, la procédure était pas bien faite, et ce n’est pas pénal après tout… Non ? J’ai juste jeté la caisse d’enveloppes pleines en croyant que c’étaient des vides.
Mesdames et Messieurs du Conseil d’Etat du canton de Genève, Mesdames et Messieurs les éminents politiciens de ces partis qui se reconnaîtront, le scrutin sera garanti le jour où vous cesserez de prendre les gens pour des idiots.
Tant que toute la lumière ne sera pas faite sur cette affaire des caisses d’enveloppes vides-pleines que l’on jette, tant que toutes les conséquences n’en auront pas été tirées, il n’y aura pas de garantie du scrutin.
Michel Piccand
[1]