Monnaies, cacahuètes et inégalités !
Les participants à l’université d’été des lecteurs de La Vie ont pu comparer le système monétaire actuel et celui de la « monnaie dividende universelle » par un jeu. L’objectif était de sensibiliser le public aux liens entre création monétaire, inégalités et le paradigme social actuel.
« Aujourd’hui, on va jouer avec des cacahuètes, et demain ce sera pareil ». Regards perplexes dans l’assemblée : « je croyais que c’était un atelier sur les systèmes monétaires alternatifs ! », chuchote une voix. Elle est pourtant au bon endroit : pendant deux jours, Carole Fabre et Mathieu Bize, deux militants en faveur du revenu minimum d’existence, ont proposé à 22 participants de jouer avec des bouts de papiers, faisant office de billets, des cartes représentant leurs talents personnels et des cacahuètes en guise de valeur ajoutée.
L’objectif est de tester et comparer deux systèmes de création monétaire : celui que nous connaissons tous, appelé « système de la monnaie dette », où les banques créent la monnaie, et le système de la « monnaie dividende universelle », où chacun reçoit régulièrement une même somme, quel que soit son âge, sa profession ou son origine sociale.
« Les banques ne prêtent rien […], elles créent de la monnaie »
Le premier jour est consacré au système de la monnaie-dette. “Dire que les banques vous prêtent de l’argent est une imposture ! Les banques ne prêtent rien car elles ne disposent pas de la monnaie qu’elles vous transfèrent : elles la créent et nous allons vous le montrer.”
Pour simuler une économie de monnaie dette, les participants reçoivent quatre cartes et doivent en rassembler autant d’identiques. Chaque carré ainsi créé donne le droit à une cacahuète. Il faut donc acheter et vendre ses cartes aux autres participants pour la modique somme d’un billet pour une carte.
Le jeu commence, chacun élabore sa stratégie pour récolter le plus de cacahuète
Mais pour plus de réalisme, seuls 11 billets sont mis en circulation et sont distribués aléatoirement par Carole Fabre : “Vous ? Voilà deux billets, vous serez un bourgeois. Par contre vous, désolée, vous n’aurez rien.” L’inquiétude revient sur les visages, mais “pas de panique, vous pourrez demander un crédit à notre banque ! Il vous faudra par contre rembourser votre dette et les intérêts, sinon vous irez en prison”.
En plus de s’enrichir automatiquement, les banques décident du visage de notre société
Le jeu commence, chacun élabore sa stratégie pour récolter le plus de cacahuètes et pouvoir rembourser son éventuel crédit, pour savoir à qui donner son héritage, mais aussi parfois pour tricher en faisant du troc ou en ramassant les billets à terre.
Quand l’heure des comptes arrive, l’écart de richesse entre le plus riche et le plus pauvre est de 32 et la banque détient deux fois plus de richesse que le plus doté des joueurs. « En plus de s’enrichir automatiquement, les banques décident du visage de notre société car elles choisissent pour qui elles créent de la monnaie », souligne Mathieu Brize.
Nouvelle monnaie, nouvelle société
Le lendemain, les règles changent pour tester le système de la monnaie dividende universel. “On va vous distribuer au début de chaque nouveau tour un revenu de base, la banque et le crédit vont disparaître. C’est votre existence même qui crée de la monnaie puisque chacun reçoit une même somme régulièrement, on est dans la co-émission”, explique l’intervenante. En apparence, rien ne change par rapport au jour dernier, il règne toujours une ambiance de « marchand de tapis ». Après les six tours de jeu, le constat est pourtant sans appel. Davantage de valeur a été créée et l’écart entre le plus riche et le plus pauvre est désormais de 3.
« On essaye souvent de s’attaquer aux conséquences des inégalités sans réfléchir sur leurs causes »
Un temps de partage sur les deux expériences s’ouvre alors. “Avec la monnaie dividende universelle, j’avais peur au début de ne pas avoir assez de monnaie mais finalement cela s’est bien passé. Et j’ai surtout ressenti beaucoup moins de stress, l’enrichissement est progressif et régulier”, explique une participante.
“On essaye souvent de s’attaquer aux conséquences des inégalités sans réfléchir sur leurs causes.”
“Je regrette d’avoir fait un emprunt à la banque pour mon appartement”, explique Yolain. “J’ai l’impression de m’être fait avoir, d’avoir été trompé.” Pour Mathieu Bize, derrière la question du système monétaire, c’est celle des inégalités et du paradigme social qui se pose. “On essaye souvent de s’attaquer aux conséquences des inégalités sans réfléchir sur leurs causes. Il faut séparer les deux ! La cause des difficultés actuelles vient de notre système monétaire bancaire et de ses conséquences. On ne pourra rien changer tant que les banques créeront la monnaie.”
Il envisage l’établissement de la monnaie dividende d’ici quarante an par un mouvement spontané des citoyens. “Quarante ans, c’est une demi vie, c’est le temps nécessaire selon moi à une prise de conscience globale par la somme des prises de conscience individuelles. On ne pourra pas y arriver autrement.”
Madeleine Poline
Pour aller plus loin, un article du site Reporterre sur les monnaies locales et les monnaies alternatives