N° 1 | 6.12.2015
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NOUVELLEAKS par Slobodan Despot
Les lauriers du cheval de Troie
Note sur le remaniement à venir du Conseil fédéral suisse
Je n’ai rien de personnel contre Mme Vive-les-Schtroumpfs. Elle est même émouvante avec ses airs d’oisillon repêché. Mais j’ai beau chercher, je ne vois pas ce qu’elle a bien pu faire pour mériter la haie d’honneur que les journalistes suisses ont formée comme un seul clone depuis l’annonce de sa démission.
A-t-elle tenu le budget de son département ? A la bonne heure : c’est le service minimum dans l’exécutif suisse. A-t-elle été coolavec son staff ? Probablement, et tant mieux pour eux. A-t-elle été collégiale avec ses pairs du Conseil fédéral ? Oui. Ou plutôt, ils ont été collégiaux avec elle. Or cette courtoisie n’est pas à porter à son crédit, mais à leur charge.
Car s’il y avait eu ces dernières années un bon motif de briser le consensus gouvernemental, c’eût bien été l’activisme de Mme Vive-les-Schtroumpfs. Et — reconnaissons-le — si l’actuel gouvernement suisse doit avoir sa place dans les livres d’histoire, c’est encore par l’activisme de Mme Vive-les-Schtroumpfs.
Mme Vive-les-Schtroumpfs, rappelons-le, est arrivée au gouvernement suisse comme Flamby à la tête des Français : non pour elle-même, mais contre son prédécesseur. Elle le doit à un complot de cour ourdi par des ennemis jurés de son propre ex-parti. Sa contribution personnelle à la manœuvre n’aura consisté qu’à trahir ledit parti et à en créer un nouveau dont la justification et la carrière se résumeront à avoir servi de troisième pied à son tabouret.
Est-ce donc un hasard si le ministre le moins légitime de ce gouvernement a entrepris le chantier le plus ambitieux : la dislocation de la place bancaire suisse ?
Entendons-nous : je n’ai jamais eu trop de sympathie pour les banquiers, et j’en ai encore moins depuis le passage de la nettoyeuse. Je les croyais murènes repliées dans leur trou mais prêtes à mordre, ce n’étaient que des mollusques tapis dans leur carapace. Qui ont fini tout ronds, coquille comprise, dans le ventre des requins sans même avoir compris ce qui leur arrivait.
Mme Vive-les-Schtroumpfs a introduit dans son action une panoplie de procédés ordinairement réservés aux méchants de série B. A la félonie inaugurale, elle ajouta le mensonge : elle mentit notamment dans l’affaire Hildebrand puis lorsqu’elle nia avoir incité la Finma(1) à livrer les noms des employés des banques. Au mensonge, elle ajouta la trahison doublée d’un viol de la Constitution, lorsqu’elle jeta en pâture aux Américains ces employés bancaires qui n’avaient fait qu’obéir aux ordres. Au viol constitutionnel, elle ajouta l’abus de pouvoir en imposant la Lex USA malgré le double refus du Conseil national. N’eût-elle été une femme, n’eût-elle été élue dans le seul but de confisquer au premier parti de Suisse un siège auquel il avait légitimement droit, on l’aurait rapidement surnommée Ganelon. Ou Gargamel. Ou Iznogoud. Intronisée par la trahison, que pouvait-elle faire d’autre que trahir ? Mais ses yeux étonnés d’oisillon qui vient d’éclore faisaient tout oublier.
La dislocation est donc accomplie, au sens militaire du terme : le QG a changé de location. Les paradis fiscaux sur Terre ont toujours été anglo-saxons, et ils le restent. Mais ils récupèrent de belles parts de marché en provenance d’un casino imprudent qui a voulu jouer les pensionnats de jeunes filles.
Or voici que la productrice de ce vaudeville qui a ravi Londres, Hong-Kong et tout l’État du Delaware, mais qui a englouti tout un pan de la prospérité suisse, est appelée, ici même, « Mère Courage ». Quel courage ? Sans doute celui de croiser tous les matins dans son miroir ces yeux d’oisillon mal réveillé. On la dit compétente, mais on ne précise pas en quoi ni à quelle fin.
Nos journalistes méconnaîtraient-ils leur langue au point de confondre courage et toupet, audace et irresponsabilité, diplomatie et collaboration ? Auraient-ils perdu tout recul critique ? Auraient-ils oublié ce qu’équité, curiosité et esprit d’investigation veulent dire ? Je n’ose le croire. Ces gens ont tout de même été formés dans des universités parmi les plus coûteuses du monde. Non, la seule explication possible est que je n’ai pas lu la presse suisse ces derniers jours, mais les journaux américains en traduction française. Eux, ils ont de bonnes raisons de féliciter Mme Vive-les-Schtroumpfs. Tiens, cela ne m’étonnerait pas qu’elle se voie bientôt proposer une chaire de lobbying dans une université d’outre-Atlantique.
Le trait de Maëlle
Le désinvité de la semaine
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas prophète en son pays. Philosophe politique original et respecté à l’étranger, Eric Werner est totalement ignoré du milieu intellectuel et médiatique suisse. Il vient de publier un essai bouleversant sur le sens et l’actualité immédiate de la figure d’Antigone. Autrement dit, de la résistance innée de l’être humain face aux pouvoirs arbitraires et abusifs.
- A écouter : notre entretien du « Fauteuil jaune ».
Main courante
TECHNOLOGIE | Scandale des moteurs polluants : de nouvelles marques impliquées | Les constructeurs automobiles rivalisent d’imagination pour contourner la législation antipollution. A ce petit jeu, après le scandale Volkswagen aux États-Unis, Renault ne passe malheureusement pas la contre-visite, en Allemagne cette fois. Les nouveaux diesels de Renault sont-ils aussi propres qu’ils l’affirment ? La question se pose à la lecture d’une étude d’ICCT (International Council on Clean Transportation). L’enquête portait sur trente-deux véhicules de dix constructeurs différents, commercialisés en Allemagne. Dont une Renault compacte de type Mégane. Toutes homologuées officiellement, ces voitures ont fait l’objet d’une contre-expertise, en subissant chacune deux tests antipollution : le test actuellement en vigueur, appelé NEDC, et le test WLTC, plus poussé, qui doit normalement être appliqué à partir de 2017 dans l’Union européenne. Soumis au test NEDC, le véhicule Renault est le seul à dépasser la barre fatidique de 80 mg d’oxydes d’azote par kilomètre. Avec de tels résultats, il n’aurait donc pas dû être homologué. C’est encore plus frappant avec le test WLTC, où la Renault échoue cette fois très largement. Elle affiche un taux d’oxydes d’azote rejetés neuf fois supérieur à la norme Euro 6 qu’elle doit respecter. Dans ce deuxième volet d’analyses, Volvo et Hyundai sont également épinglés, pour des taux quatorze fois et sept fois plus élevés que le seuil légal. Nouveaux scandales en perspective ?
SOCIÉTÉ | Zahia en Marianne | Les attentats de Paris et de Saint-Denis du 13 novembre ont ému le monde entier, et les stars aussi sont nombreuses à avoir réagi aux attaques sanglantes qui ont fait 130 morts et plus de 300 blessés. Une multitude de people ont donc produit des performances diverses et variées en hommage aux victimes. Dans le lot, une personnalité étonnante, Zahia, l’escort girl qui fut particulièrement choyée par les stars de l’équipe de France de football. Devant l’objectif des artistes Pierre & Gilles, elle n’a pas hésité à poser en Marianne sous la devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité » ! Chacun appréciera…
MÉDIAS | Les journaux misent sur Facebook « Le Parisien », « 20 minutes » et « Les Échos » vont être les trois premiers journaux français à publier des articles directement sur Facebook grâce à une nouvelle fonctionnalité qui permet un affichage quasi instantané sur téléphone mobile. Le premier sera Le Parisien, sur les appareils Apple, suivi dans la semaine du quotidien 20 minutes, puis des Échos début 2016, ont annoncé ces quotidiens à l’AFP. « Paris Match », l’éditeur Condé Nast, les sitesDemotivateur et Ohmymag ont également prévu de rejoindre le dispositif, selon Facebook. En utilisant le nouveau processus,Instant Articles, les journaux renoncent à attirer les lecteurs sur leurs propres sites, au nom du confort de navigation.
GÉOPOLITIQUE | Rapprochement France-Russie : un « déjeuner de soleil » ? | « En s’engageant sur le théâtre syrien, Poutine a fait tomber les masques des autres acteurs. Moscou a aujourd’hui besoin de Paris et la France, de la Russie », relève Caroline Galactéros dans « Le Point ». Pour conclure avec lucidité : « Souhaitons que ce rapprochement ne soit pas “un déjeuner de soleil”. Il est à craindre en effet que certains acteurs ne tentent de mettre à mal une alliance franco-russe efficace qui va nécessairement dévoiler les doubles jeux et les hypocrisies de la “coalition” anti-Daech déjà à l’œuvre, assemblage de carpes et de lapins… et de pompiers pyromanes. »
SÉCURITÉ | État d’urgence, prélude à l’Etat policier ? (Blog du Monde diplomatique) | Frédéric Lordon stigmatise l’« État de police » et l’inévitable indignité de la dictature où le gouvernement français finira par se vautrer. Il dénonce au passage le rôle des médias de service public dans l’abrutissement du public et la dépossession des outils de pouvoir. « L’État de police, qui est en train de s’abattre sur nous, nous fera-t-il passer nos seuils ? »
COMMUNICATION | Flanquez-moi ces diapos aux oubliettes ! | Enfin, un poids lourd de la communication en public dénonce la religion de Pauvre Point et des incontournables slides de texte que les conférenciers ne font que paraphraser, masquant la pauvreté de leur expression. « Les diapos ne véhiculent pratiquement jamais rien d’utile. Si vous avez des graphiques qui illustrent, mais vraiment, ce que vous dites, alors oui : vous pouvez en passer quelques-unes. Mais vous feriez mieux de laisser tomber, car votre public va s’endormir. » (Eric Sherman sur Inc.com)
Pain de méninges
De l’illettrisme haut de gamme
« Quand on n'est pas allé à l'école qu'on est illettré, qu'on a été placé très tôt dans un atelier ou mis aux champs pour garder les vaches, on ne possède pas la culture qui permet de disposer d'un jugement ou de se faire un avis. Cet illettrisme n'est plus. Il s'est métamorphosé. Celui de notre époque, massif, démesuré, immense, paraît plus grand encore, car ce qui fut longtemps sagesse populaire, morale ancestrale, bon sens paysan et qui pouvait alors suffire pour constituer un esprit sain, a disparu sous les effets conjugués de l'information de masse, d'abord avec la télévision, ensuite avec la prolifération numérique. Jamais l'illettrisme n'a été autant haut de gamme, concernant parfois plus les diplômés que ceux qui ne le sont pas, tant le bourrage de crâne idéologique fait sa loi depuis plus d'un demi-siècle. »
Michel Onfray, entretien dans Éléments n° 157, octobre-décembre 2015.
Présentation
L’information telle que vous l’espériez
L’Antipresse est une lettre d’information rédigée par Slobodan Despot et Jean-François Fournier. Elle paraît chaque dimanche matin à sept heures. Elle est gratuite, mais financée par les dons de ses abonnés.
L’Antipresse est née de notre sentiment d’étouffement et de désarroi face à l’appauvrissement constant de l’information des médias de grand public, au relâchement de leur langue et de leur style, à leur incohérence intellectuelle, à leur parti pris devenu structurel, à leur éloignement préoccupant de la réalité vécue par la plupart des gens.
L’Antipresse n’est pas contre la presse, mais en face, comme Anticythère fait face à Cythère. Ce n’est pas une réfutation des lieux communs de la presse, mais un élargissement des perspectives sur les choses qui nous concernent. Aux phrases toutes faites, nous opposons un langage vivant. Aux stéréotypes, une vision individuelle. A la pensée unique, la variété des points de vue. A l’hypocrisie de rigueur, une franchise du ton et du regard.
L’Antipresse s’intéresse à toute l’actualité, en particulier celle concernant le domaine francophone. Elle éclaire les zones d’ombre de l’information et s’attache à mettre en évidence les partis pris sous-jacents du discours officiel.
L’Antipresse n’est ni de droite, ni de gauche, et encore moins du milieu. Le milieu médiatique, s’entend, qui se soucie moins de diffuser l’information que de la canaliser, moins de former l’opinion que de la censurer dans l’œuf. Son rôle dans l’Occident d’aujourd’hui est comparable à celui de la presse officielle en URSS.
AU PRESSE-CITRON de Jean-François Fournier
L’empereur Sepp le Grand, le roi Platoche Ier et les journalistes de la cour
Icône, idole, sauveur du football français, l’actuel président de l’Union des associations européennes de football (UEFA) bénéficie de la clémence corporatiste des journalistes sportifs dans les affaires dites de la corruption au sein de la FIFA (Fédération Internationale de Football Association).
Il y a quelque chose de sidérant à parcourir depuis quelques semaines les pages sportives de la presse francophone. Voire même des rubriques plus sérieuses, de type enquêtes et reportages. En Suisse, on y cherche vainement les coups de plume vachards à l’encontre du président Sepp Blatter (FIFA). Et en France, il faut carrément prendre une loupe pour dénicher un uppercut dirigé contre le président Michel Platini (UEFA). Les journalistes suisses rechignent à dire les quatre vérités sur un homme de pouvoir qui a tant fait pour eux (accréditations facilitées, entretiens préférentiels, invitations en tous genres, etc.). Leurs confrères français sont, eux, encore moins vifs, pour ne pas dire carrément victimes d’une crise aiguë de chauvinisme. Et pourtant, le Ministère public de la Confédération a autorisé l’analyse en profondeur des comptes de la FIFA, et la commission d’éthique de cette dernière a mis hors jeu le Suisse comme le Français. Peut-être même à vie. Or, malgré cela, on cherche encore et toujours une vraie critique des deux dirigeants.
Je vous entends d’ici : « Comment ça ? Et l’information ? Et la déontologie ? » Elles existent – heureusement – mais, côté sport, sont d’une densité bien moindre que dans d’autres domaines médiatiques. Je sais de quoi je parle, puisque j’ai été chef des sports du Journal de Genève, puis du Nouveau Quotidien, dans les années nonante. Les dirigeants du sport ont ceci en commun d’être particulièrement proches des professionnels qui couvrent leur business, et surtout, généreux avec eux autant que faire se peut en matière de limites légales : conférences de presse suivies de repas copieux, congrès dans des hôtels de luxe offerts ou à prix réduits, j’en passe et de plus étonnantes comme ces enveloppes de petits billets pour les menus frais du type péages ou parking dans les pays d’accueil de toute cette caravane médiatico-politico-sportive.
Tout ça est connu, diront les bons esprits. Certes, mais l’avez-vous vraiment lu souvent ? Revenons à nos deux présidents et au scandale de la corruption au sein de la FIFA ! Blatter, lui, a un statut protocolaire de président d’état un peu partout autour du monde. Chez nous, il a ses entrées dans la classe politique et jusqu’au Conseil fédéral (souvenez-vous de sa coprésidence de la candidature suisse aux JO). Platini, c’est la même chose en France, avec en prime le statut de l’idole qui a ramené son football national sur la voie du succès et de la modernité. Ce dernier élément explique d’ailleurs à lui seul ou presque le traitement pour le moins compréhensif dont il est l’objet par ses compatriotes dotés d’une carte de presse.
Lors d’un récent débat sur France 5, un célèbre journaliste de Canal Plus a reconnu candidement qu’il était difficile au plumitif passionné d’imaginer cet homme qui survolait les terrains et nettoyait les toiles d’araignées dans les buts à chaque coup franc, ce champion unique donc, compromis dans un système imaginé par des dirigeants éloignés des terrains depuis des décennies.
« C’est une icône… ça demande du temps d’écrire la vérité sur une icône… » Voilà le discours tenu par tous les fans de foot en charge du dossier dans leurs rédactions respectives. « La FIFA était corrompue à tous les étages, mais lui c’est autre chose, écrit ainsi Le Parisien. C’était une légende, notre icône. » « Vivement qu’il contre-attaque », encourage La Charente Libre. « Platini, ce héros du ballon rond », soupire en écho Le Figaro. Et tous les autres, sans exception, de l’excuser allegro ma non troppo, entonnant le couplet convenu de « C’est la faute à Blatter », ce Suisse soupçonné de vouloir entraîner l’ange dans sa glissade vers les enfers.
Mythique patron des sports sur Canal Plus première époque, ancien boss du Paris-St-Germain, ex-directeur de la chaîne beIN Sport, Charles Biétry m’a expliqué un jour que l’interpénétration entre les journalistes sportifs et les athlètes, équipes ou événements qu’ils commentent, était telle qu’elle serait à jamais impossible à démêler. « Tout le monde le sait, personne ne le dit », m’avait-il lâché, rigolard. Avant de conclure : « Il y a toujours des exceptions qui sont l’honneur de la profession. »
Des exceptions dans la presse sportive, vous en connaissez beaucoup ?
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