Ecopop, ou le rêve écolotechnocratique
Dénoncer la «xénophobie» d’Ecopop, c’est l’aborder de biais et passer à côté de sa visée essentielle, qui est la régulation générale de la population. La limitation, fût-elle drastique, de l’immigration n’en est qu’un cas particulier.
Le premier alinéa est clair: la Confédération prend toute mesure pour que le nombre des habitants ne dépasse pas ce que le territoire peut abriter et nourrir. Cela concerne aussi bien un hypothétique excès de naissances suisses que l’arrivée des étrangers. Si les Suisses devaient commencer à faire plus d’enfants que n’en demande le strict renouvellement des générations, il faudrait prendre des mesures dissuasives, suppression du quotient familial, réduction ou suppression des allocations pour enfants, pénalisation du troisième enfant, que sais-je?
Selon la seconde phrase de ce même alinéa, la Confédération encourage les autres pays à faire de même, «notamment dans le cadre de la coopération internationale au développement». Cela signifie-t-il que l’importance de notre aide dépendra de la politique plus ou moins antinataliste des Etats bénéficiaires? En tout cas, le troisième alinéa prévoit qu’un dixième de notre aide au développement sera consacré à subventionner le planning familial volontaire.
Le deuxième alinéa traite de la maîtrise du «solde migratoire», c’est-à-dire de la différence quantitative, toutes nationalités confondues, entre les personnes qui entrent en Suisse et celles qui en sortent. La croissance annuelle de ce solde ne doit pas dépasser 0,2 % de la population totale: cela correspond à 16 000 personnes environ. Et si l’on retranche encore de ce chiffre les demandeurs d’asile et les Suisses de l’étranger qui rentrent au bercail, on voit qu’on est loin des 80 000 migrants économiques annuels dus à la libre circulation.
C’est dire que de nombreuses offres d’emploi resteront sans réponse. Selon quels critères les travailleurs étrangers acceptés seront-ils répartis entre les entreprises demandeuses? L’initiative n’en dit rien. On peut craindre que la Confédération, mêlant étatisme et centralisation, ne répartisse elle-même le contingent, dans le meilleur des cas sur la base des demandes cantonales.
Le quatrième alinéa affirme qu’en cette matière, le droit suisse prime sur le droit et les traités internationaux.
Ecopop est beaucoup plus radicale que l’initiative «contre l’immigration massive». Coup de barre imprécis et brutal, cette dernière réaffirmait la souveraineté de la Confédération et organisait l’immigration en fonction principale de nos besoins économiques. Sa perspective était suisse.
Ecopop propose rien de moins qu’une autre civilisation, un autre «paradigme», comme on dit. Rejetant la croissance, elle vise à réintégrer l’homme dans une nature dont elle juge qu’il s’est coupé par volonté excessive de puissance et idolâtrie technologique. Elle s’inscrit dans une visée planétaire.
Ecopop entend soumettre la démographie à une planification administrative stricte. Ce recours à la froide rationalité étatique, artificielle et contraignante, en un mot technocratique, n’est-il pas en contradiction avec le réenchantement du monde dont rêvent les écologistes?
Antinataliste, Ecopop partage avec les milieux natalistes la croyance que l’espèce humaine est capable de maîtriser sa propre reproduction. Elle nous fait pénétrer dans un domaine interdit où le nombre indéterminé de variables non maîtrisables ou inconnues nous condamne à jouer les apprentis sorciers.
Malgré cela, certains s’apprêtent à voter Ecopop dans l’idée de donner un «signe clair» à la Confédération en matière d’immigration. Mais la Constitution n’est pas faite pour donner des signes. Le vote du 9 février leur rappelle qu’un prétendu «signe clair» peut engendrer les situations les plus confuses.
D’autres voteront Ecopop pour brider une croissance économique excessive. Ils en ont en particulier aux grandes entreprises étrangères, dont l’apport fiscal est important mais d’un avenir incertain, dont les employés n’ont ni le temps ni le désir de s’assimiler, mais qui n’en contribuent pas moins au bétonnage accéléré du pays et à la dissolution de notre identité.
Nous partageons leur irritation. Mais les moyens mis en œuvre par Ecopop semblent plus propices à faire éclater le système qu’à lui apporter un frein bienvenu. De plus, s’il ne faut certes pas identifier la prospérité économique et le bien commun, il ne faut pas les opposer non plus. La pauvreté et le chômage n’engendrent ni le bonheur, ni la vertu. Enfants gâtés d’une longue prospérité, les partisans d’Ecopop passent un peu vite sur les bienfaits du plein-emploi pour ne plus en voir que les retombées négatives.
Et surtout, qui dit que la raréfaction des permis de travail touchera d’abord la grande économie hors-sol et non les petites et moyennes entreprises enracinées dans le pays, rapportant plus que des impôts à la collectivité, formant des apprentis et respectant leurs engagements syndicaux? Il serait irresponsable de prendre le risque.
La Constitution fédérale est modifiée comme suit:
Art. 73a (nouveau) Population
1. La Confédération s’attache à faire en sorte que la population résidant en Suisse ne dépasse pas un niveau qui soit compatible avec la préservation durable des ressources naturelles. Elle encourage également d’autres pays à poursuivre cet objectif, notamment dans le cadre de la coopération internationale au développement.
2. La part de l’accroissement de la population résidant de manière permanente en Suisse qui est attribuable au solde migratoire ne peut excéder 0,2 % par an sur une moyenne de trois ans.
3. Sur l’ensemble des moyens que la Confédération consacre à la coopération internationale au développement, elle en affecte 10 % au moins au financement de mesures visant à encourager la planification familiale volontaire.
4. La Confédération ne peut conclure de traité international qui contreviendrait au présent article ou qui empêcherait ou entraverait la mise en œuvre de mesures propres à atteindre les objectifs visés par le présent article.