À l’intérieur du Gouvernement invisible : Guerre, Propagande, Clinton & Trump |
John Pilger | ||
Traduit par Viktor Dedaj | ||
Edité par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي |
... Sans la moindre preuve, Hillary a accusé la Russie de soutenir Trump et d’avoir piraté ses e-mails. Publiés par WikiLeaks, ces e-mails nous révèlent que ce que dit Clinton en privé, dans ses discours aux riches et puissants, est le contraire de ce qu’elle dit en public...
Texte d'une conférence donnée par John Pilger le 27 octobre 2016 dans le cadre du Festival des mots (Off the Shelf 2016) à Sheffield, Frande-Bretagne. Le journaliste US-américain Edward Bernays, est souvent présenté comme l’inventeur de la propagande moderne.Neveu de Sigmund Freud, le pionnier de la psychanalyse, Bernays a inventé le terme « relations publiques », comme euphémisme pour désigner les manipulations et les tromperies. En 1929, il a persuadé des féministes de promouvoir des cigarettes pour femmes en fumant lors de la Parade de Pâques à New York – un comportement considéré à l’époque comme saugrenu. Une féministe, Ruth Booth, déclara : « Femmes ! Allumez un nouveau flambeau de la liberté ! Luttez contre un autre tabou sexiste ! » L’influence de Bernays s’étendait bien au-delà de la publicité. Son plus grand succès a été de convaincre le public US-américain de se joindre à la grande tuerie de la Première Guerre mondiale. Le secret, disait-il, était « de fabriquer le consentement » des personnes afin de les « contrôler et orienter selon notre volonté et à leur insu ». Il décrivait cela comme « le véritable pouvoir de décision dans notre société » et l’appelait le « gouvernement invisible ». Aujourd’hui, le gouvernement invisible n’a jamais été aussi puissant et aussi peu compris. Dans toute ma carrière de journaliste et de cinéaste, je n’ai jamais connu de propagande aussi influente sur nos vies que celle qui sévit aujourd’hui, et qui soit aussi peu contestée. Les 3 phrases-clé de la Novlangue de 1984 : "La guerre, c'est la paix; l'ignorance, c'est la force ; la liberté, c'est l'esclavage" Mais il y a une différence essentielle. Dans une des deux villes, les journalistes occidentaux embarqués avec les soldats gouvernementaux décrivent ces derniers comme des libérateurs et annoncent avec enthousiasme leurs batailles et leurs frappes aériennes. Il y a des photos en première page de ces soldats héroïques faisant le V de la victoire. Il est très peu fait mention des victimes civiles. Dans la deuxième ville – dans un pays voisin – il se passe presque exactement la même chose. Les forces gouvernementales assiègent une ville contrôlée par la même trempe de fanatiques. La différence est que ces fanatiques sont soutenus, équipés et armés par « nous » - par les USA et la Grande-Bretagne. Ils ont même un centre de médias financé par la Grande-Bretagne et les USA. Une autre différence est que les soldats gouvernementaux qui assiègent cette ville sont les méchants, condamnés pour avoir agressé et bombardé la ville - ce qui est exactement ce que les bons soldats font dans la première ville. Déroutant ? Pas vraiment. Tel est le deux poids, deux mesures de base qui est l’essence même de la propagande. Je parle, bien sûr, du siège actuel de la ville de Mossoul par les forces gouvernementales irakiennes, soutenues par les USA et la Grande-Bretagne et le siège d’Alep par les forces gouvernementales de la Syrie, soutenues par la Russie. L’un est bon ; l’autre est mauvais. Ce qui est rarement signalé est que les deux villes ne seraient pas occupées par des fanatiques et ravagées par la guerre si la Grande-Bretagne et les USA n’avaient pas envahi l’Irak en 2003. Cette entreprise criminelle fut lancée sur la base de mensonges étonnamment semblables à la propagande qui déforme maintenant notre compréhension de la guerre en Syrie. Sans ce battage popagandiste déguisé en informations, les monstrueux Daesh, Al Qaïda, Al Nusra et toutes les autres bandes de djihadistes pourraient ne pas exister et le peuple syrien ne serait pas en train de se battre pour sa survie. Certains se souviendront peut-être de tous ces journalistes de la BBC qui en 2003 défilaient devant les caméras pour nous expliquer que l’initiative de Blair était « justifiée » pour ce qui allait devenir le crime du siècle. Les chaînes de télévision US fournissaient les mêmes justifications pour George W. Bush. Fox News invita Henry Kissinger pour broder sur les affabulations de Colin Powell. La même année, peu après l’invasion, j’ai filmé une interview à Washington de Charles Lewis, le célèbre journaliste d’investigation US. Je lui ai demandé, « Qu’est-ce qui se serait passé si les médias les plus libres du monde avaient sérieusement remis en question ce qui s’est avéré être une propagande grossière ? » Il a répondu que si les journalistes avaient fait leur travail, « il y a de très fortes chances qui nous ne serions pas entrés en guerre contre Irak. » Ce fut une déclaration choquante, et confirmée par d’autres journalistes célèbres à qui j’ai posé la même question - Dan Rather de CBS, David Rose de l' Observer et des journalistes et producteurs de la BBC, qui souhaitaient rester anonymes. En d’autres mots, si les journalistes avaient fait leur travail, s’ils avaient contesté et enquêté sur la propagande au lieu de l’amplifier, des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants seraient encore en vie aujourd’hui, et il n’y aurait pas de Daesh et aucun siège à Alep ou à Mossoul. Il n'y aurait eu aucune atrocité dans le métro de Londres le 7 Juillet 2005. Il n’y aurait eu aucune fuite de millions de réfugiés ; il n’y aurait pas de camps misérables. Lorsque l’atrocité terroriste a eu lieu à Paris, au mois de novembre dernier, le président François Hollande a immédiatement envoyé des avions pour bombarder la Syrie - et plus de terrorisme a suivi, de façon prévisible, produit par la grandiloquence de Hollande sur la France « en guerre » et « ne montrant aucune pitié ». Que la violence de l’État et la violence djihadiste s’alimentent mutuellement est une réalité qu’aucun dirigeant national n’a le courage d’aborder. « Lorsque la vérité est remplacée par le silence », a dit le dissident soviétique Evtouchenko, « le silence devient un mensonge ». L’attaque contre l’Irak, l’attaque contre la Libye, l’attaque contre la Syrie ont eu lieu parce que les dirigeants de chacun de ces pays n’étaient pas des marionnettes de l’Occident. Le bilan en matière de droits de l’homme d’un Saddam ou d’un Kadhafi est hors de propos. Ils ont désobéi aux ordres et n’ont pas abandonné le contrôle de leur pays. Le même sort attendait Slobodan Milosevic une fois qu’il avait refusé de signer un « accord » qui exigeait l’occupation de la Serbie et sa conversion à une économie de marché. Son peuple fut bombardé, et il fut poursuivi à La Haye. Une telle indépendance est intolérable. Comme WikLeaks l’a révélé, ce ne fut que lorsque le dirigeant syrien Bashar Al Assad rejeta en 2009 un projet d’oléoduc qui devait traverser son pays en provenance du Qatar vers l’Europe, qu’il a été attaqué. À partir de ce moment, la CIA a prévu de détruire le gouvernement de la Syrie avec les fanatiques jihadistes - les mêmes fanatiques qui tiennent actuellement en otage les habitants de Mossoul et des quartiers est d’Alep. Pourquoi les médias n’en parlent pas ? L’ancien fonctionnaire du Ministère des Affaires étrangères britannique, Carne Ross, qui était responsable des sanctions opérationnelles contre l’Irak, m’a dit : « Nous fournissions aux journalistes des bribes d’informations de renseignement soigneusement triées, ou nous les tenions à l’écart. Voilà comment ça fonctionnait. ». L’allié médiéval de l’Occident, l’Arabie Saoudite - à laquelle les USA et la Grande-Bretagne vendent des milliards de dollars d’armement - est en ce moment en train de détruire le Yémen, un pays si pauvre que, dans le meilleur des cas, la moitié des enfants souffrent de malnutrition. Cherchez sur YouTube et vous verrez le genre de bombes massives - "nos" bombes - que les Saoudiens utilisent contre des villages miséreux, et contre des mariages et des funérailles. Les explosions ressemblent à celles de petites bombes atomiques. Ceux qui guident ces bombes depuis l’Arabie Saoudite travaillent côte à côte avec des officiers britanniques. Vous n’en entendrez pas parler dans les journaux télévisés du soir. La propagande est plus efficace lorsque notre consentement est fabriqué par l’élite éduquée - Oxford, Cambridge, Harvard, Columbia - qui fait carrière à la BBC, au Guardian, New York Times, Washington Post. Ces médias sont réputés pour être progressistes. Ils se présentent comme des tribunes éclairés et progressistes de l'esprit du temps. Ils sont antiracistes, pro-féministes et pro-LGBT. Et ils adorent la guerre. Tout en défendant le féminisme, ils soutiennent les guerres rapaces qui nient les droits d’innombrables femmes, dont le droit à la vie. En 2011, la Libye, un État moderne, fut détruite sous prétexte que Mouammar Kadhafi était sur le point de commettre un génocide contre son propre peuple. L’information tournait en boucle ; mais il n’y avait aucune preuve. C’était un mensonge. En réalité, la Grande-Bretagne, l’Europe et les USA voulaient ce qu’ils aiment appeler un « changement de régime » en Libye, le plus grand producteur de pétrole en Afrique. L’influence de Kadhafi sur le continent et, surtout, son indépendance était intolérable. Il a donc été assassiné d'un coup de poignard dans le dos par des fanatiques, soutenus par les USA, la Grande-Bretagne et la France. Devant une caméra, Hillary Clinton a applaudi sa mort horrible en déclarant, « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort ! » La destruction de la Libye fut un triomphe médiatique. Tandis que l’on battait les tambours de guerre, Jonathan Freedland écrivait dans le Guardian : « Bien que les risques soient bien réels, une intervention reste bien fondée». Intervention : un mot poli, bénin, très « Guardian », dont la signification réelle, pour la Libye, fut la mort et la destruction. Selon ses propres données, l’OTAN a lancé 9 700 « frappes aériennes » contre la Libye, dont plus d’un tiers visaient des cibles civiles. Elles comprenaient des missiles avec des ogives d’uranium. Regardez les photos des décombres à Misurata et à Syrte, et les fosses communes identifiées par la Croix-Rouge. Le rapport de l’Unicef sur les enfants tués dit, « la plupart [d’entre eux] avaient moins de dix ans. » Comme conséquence directe, Syrte est devenue la capitale de l’État Islamique. L’Ukraine est un autre triomphe médiatique. Des journaux libéraux respectables tels que le New York Times, le Washington Post et le Guardian, et les diffuseurs traditionnels tels que la BBC, NBC, CBS et CNN ont joué un rôle crucial dans le conditionnement de leurs téléspectateurs pour accepter une nouvelle et dangereuse guerre froide. Tous ont déformé les événements en Ukraine pour en faire un acte maléfique de la Russie, alors qu’en réalité, le coup d’État en Ukraine en 2014 fut l'œuvre des USA, aidés par l’Allemagne et de l’OTAN. Cette inversion de la réalité est tellement omniprésente que les menaces militaires de Washington envers la Russie sont passées sous silence ; tout est occulté par une campagne de dénigrement et de peur du genre de celle dans laquelle j'ia grandi durant la première guerre froide. Une fois de plus, les Russkoffs viennent nous chercher des poux, dirigés par un nouveau Staline, que The Economistdépeint comme le diable. L’occultation de la vérité sur l’Ukraine est une des opérations de censure les plus complètes que j’ai jamais vue. Les fascistes qui ont conçu le coup d’État à Kiev sont de la même trempe que ceux qui ont soutenu l’invasion nazie de l’Union soviétique en 1941. Alors que l’on se répand sur les craintes d’une montée de l’antisémitisme fasciste en Europe, aucun dirigeant ne mentionne les fascistes en Ukraine - sauf Vladimir Poutine, mais lui ne compte pas. Beaucoup dans les médias occidentaux ont travaillé dur pour présenter la population russophone de l’Ukraine comme des étrangers dans leur propre pays, comme des agents de Moscou, presque jamais comme des Ukrainiens qui cherchent une fédération en Ukraine et, en tant que citoyens ukrainiens, qui résistent à un coup d’État orchestré depuis l’étranger contre leur gouvernement élu. Chez les bellicistes règne pratiquement le même état d’excitation que lors de retrouvailles d'anciens élèves. Les batteurs de tambour du Washington Post qui incitent à la guerre contre la Russie sont les mêmes qui publiaient les mensonges sur les armes de destructions massive de Saddam Hussein. Pour la plupart d’entre nous, la campagne présidentielle US est un spectacle de monstres, où Donald Trump tient le rôle du grand méchant. Mais Trump est détesté par ceux qui détiennent le pouvoir aux USA pour des raisons qui ont peu à voir avec son comportement odieux et ses opinions. Pour le gouvernement invisible à Washington, l'imprévisible Trump est un obstacle au projet des USA pour le 21e siècle, qui est de maintenir leur domination et de soumettre la Russie, et, si possible, la Chine. Pour les militaristes à Washington, le vrai problème avec Trump est que, dans ses moments de lucidité, il ne semble pas vouloir une guerre avec la Russie ; il veut parler avec le président russe, pas le combattre ; il dit qu’il veut parler avec le président de la Chine. Dans le premier débat avec Hillary Clinton, Trump a promis de ne pas être le premier à utiliser des armes nucléaires dans un conflit. Il a dit : « Je ne voudrais certainement pas effectuer la première frappe. Une fois l’option nucléaire prise, c’est fini. » Les médias n’en ont pas parlé. Le pensait-il réellement ? Qui sait ? Il se contredit souvent. Mais ce qui est clair, c’est que Trump est considéré comme une grave menace pour le statu quo entretenu par le vaste appareil de sécurité nationale qui opère aux USA, quel que soit l’occupant de la Maison Blanche. La CIA veut le voir battu. Le Pentagone veut le voir battu. Les médias veulent le voir battu. Même son propre parti veut le voir battu. Il représente une menace pour les dirigeants du monde - contrairement à Clinton, qui n’a laissé aucun doute qu’elle était prête à aller en guerre contre la Russie et la Chine, deux pays qui possèdent des armes nucléaires. Clinton connait la recette, comme elle s’en vante souvent. En effet, elle n’a plus rien à prouver. En tant que sénatrice, elle a soutenu le bain de sang en Irak. Quand s’est présentée contre Obama en 2008, elle a menacé de « totalement détruire » l’Iran. En tant que secrétaire d’État, elle a comploté dans la destruction des gouvernements de la Libye et du Honduras et mis en branle la provocation contre la Chine. Elle a promis de soutenir une zone d’exclusion aérienne en Syrie - une provocation directe d’une guerre avec la Russie. Clinton pourrait bien devenir le président le plus dangereux des USA de mon vivant – un titre pour lequel la concurrence est rude. Sans la moindre preuve, elle a accusé la Russie de soutenir Trump et d’avoir piraté ses e-mails. Publiés par WikiLeaks, ces e-mails nous révèlent que ce que dit Clinton en privé, dans ses discours aux riches et puissants, est le contraire de ce qu’elle dit en public. Voilà pourquoi il est si important de faire taire et de menacer Julian Assange. En tant que dirigeant de WikiLeaks, Julian Assange connaît la vérité. Et permettez-moi de rassurer tous ceux qui sont préoccupés, il va bien, et WikiLeaks tourne à plein régime. Aujourd’hui, le plus grand déploiement de forces dirigées par les USA depuis la Seconde Guerre mondiale est en route - dans le Caucase et l’Europe orientale, à la frontière avec la Russie, et en Asie et dans le Pacifique, où la Chine est la cible. Gardez cela à l’esprit lorsque le cirque de l’élection présidentielle atteindra son apogée le 8 novembre, Si Clinton gagne, un chœur des commentateurs écervelés célébrera son couronnement comme un grand pas en avant pour les femmes. Aucun ne mentionnera les victimes de Clinton : les femmes syriennes, les femmes irakiennes, les femmes libyennes. Aucun ne mentionnera les exercices de défense civile menés en Russie. Aucun ne rappellera « les flambeaux de la liberté » d’Edward Bernays. Un jour, le porte-parole chargé des relations avec la presse de George Bush a qualifié les médias de « facilitateurs complices ». Venant d’un haut fonctionnaire d’une administration dont les mensonges, permis par les médias, ont provoqué tant de souffrances, cette description est un avertissement de l’histoire. En 1946, le procureur du Tribunal de Nuremberg a déclaré au sujet des médias allemands : « Avant chaque agression majeure, ils lançaient une campagne de presse calculée pour affaiblir leurs victimes et préparer psychologiquement le peuple allemand pour une attaque. Dans le système de propagande, la presse quotidienne et la radio étaient les armes les plus importantes. » |