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Censures par les banques

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Censuré, licencié mais toujours debout


Les témoignages de trois anciens banquiers sont au cœur du documentaire de Geoffrey Livolsi et Nicolas Vescovacci diffusé sur France 3 en octobre dernier après avoir été censuré par Canal+. DR



Benito Perez

Son enquête sur la Banque Pasche l’a rendu célèbre mais lui a coûté son emploi. Avec d’autres journalistes d’investigation, Nicolas Vescovacci clame qu’«informer n’est pas un délit».



Passé par la presse, la radio et le magazine TV, habitué aux hautes sphères de l’économie, mais ne dédaignant pas le reportage de guerre ou l’enquête de proximité, Nicolas Vescovacci est ce que l’on appelle un journaliste polyvalent et expérimenté. Ce Corse d’origine n’avait pourtant «jamais vu ça», la censure aussi brutale qu’inattendue d’un documentaire réalisé l’an dernier, avec sa boite de production KMpresse, pour le compte de Canal+. Tournée en un mois et demi grâce à de gros moyens, l’enquête accusait la Banque Pasche d’évasion fiscale sur la base de témoignages d’employés monégasques de cette ex-filiale suisse du Crédit Mutuel-CIC1. Elle sera pourtant déprogrammée «sans un mot d’explication» par la chaîne cryptée.
Pour le journaliste, l’intervention de Vincent Bolloré, le nouveau patron de Vivendi et de Canal +, ne fait aucun doute, énième illustration de la «mainmise des industriels et des banquiers sur les médias». Redevenu reporter indépendant après sa mésaventure – il enquête en ce moment sur la spéculation foncière des terres agricoles –, Nicolas Vescovacci s’est fortement engagé dans le collectif «Informer n’est pas un délit», constitué l’an dernier avec une cinquantaine de confrères et de défenseurs de la liberté d’information. L’initiative, qui a donné lieu à un livre homonyme, sera présentée par Nicolas Vescovacci samedi 9 avril, lors d’un débat à Lausanne avec d’autres journalistes d’investigation de Suisse et de France, réunis par Le Courrier (lire ci-dessous).
M. Bolloré nie être intervenu dans le refus de Canal+ de diffuser votre film. Qu’est-ce qui vous prouve le contraire?
Nicolas Vescovacci: Quand j’ai proposé le sujet sur la Banque Pasche car j’avais obtenu les témoignages de trois banquiers, Canal+ a immédiatement accepté. L’enthousiasme était tel que nous avons mis sur pied un plan de tournage et de montage très ambitieux pour un 52 minutes. L’enquête ayant donné les résultats attendus, le film a été soumis et validé par la direction de la chaîne et le service juridique. C’est à ce moment-là que Vincent Bolloré est intervenu. Nous en avons les preuves: un directeur de Canal+ (Rodolphe Belmer, aujourd’hui licencié, ndlr) a reçu l’ordre de ne pas diffuser et nous l’a dit. Nous avons aussi un enregistrement de M. Bolloré, devant la rédaction d’i-télé, reconnaissant avoir reçu un appel de Michel Lucas, le PDG du Crédit Mutuel2.
Quel serait le mobile de M. Bolloré?
Il est possible que ce soit un simple renvoi d’ascenseur entre patrons. Michel Lucas et Vincent Bolloré se connaissent et se fréquentent. Les deux sont d’origine bretonne et le Crédit Mutuel est une des banques du groupe Bolloré. S’il y a un lien direct entre le groupe Bolloré et la Banque Pasche, nous n’en avons pas trouvé trace.
Les portes de Canal+ vous sont-elles désormais fermées?
Au début, nous ne voulions pas dénoncer la censure, l’important, pour nous, était que le film soit diffusé. C’est pourquoi nous sommes entrés en contact avec France 33. Mais un journaliste a eu vent de la censure de Canal et l’a révélée en juillet. Sollicités par la presse, nous avons confirmé et précisé les faits. Canal+ et notre boite de production se sont alors braqués contre nous. Puis cela a carrément tourné en eau de boudin, puisqu’au milieu de l’été, Bolloré s’est rapproché du groupe Zodiak, propriétaire de notre société de production KM et a opéré un rachat partiel!
Il y aurait un lien entre les deux affaires?
Non, l’intérêt porté par Bolloré préexistait. Vivendi a besoin d’acheter des contenus audiovisuels et ce rachat partiel (26%) s’est opéré à plus haut niveau, dans le cadre de la fusion entre Zodiak (Le Grand Journal, Fort Boyard, Koh-Lanta, ndlr) et Banijay (Hanouna, Nagui, ndlr). Reste que, dès ce moment, nous sommes entrés en conflit avec notre directeur de production, qui refusait que le documentaire soit diffusé. Notre petite cellule documentaire a ensuite été fermée sous prétexte qu’elle n’était pas rentable et nous avons été virés en octobre.
Avant cet épisode, aviez-vous déjà subi la censure ou des entraves très importantes à vos enquêtes?
J’ai vu assez régulièrement des bouts d’interview rabotés en télé ou en radio, quelques sujets «trappés», notamment sur Radio France International, qui est diffusé principalement vers l’Afrique, où la direction parfois ménageait tel ou tel personnage. Mais jamais je n’avais constaté une censure de ce type, à l’ancienne, avec des gros ciseaux qui empêchent la diffusion d’un film.
Les accusations de censure à Canal+, les plaintes de Bolloré contre BastaMag, celles à répétition contre Médiapart... Peut-on dire que le contrôle sur les journalistes s’est renforcé?
Je constate que depuis que certains grands industriels français ont renforcé leur position dans les médias – Patrick Drahi (LibérationL’Express), Vincent Bolloré, Bernard Arnault (Le ParisienLes Echos) – l’ensemble de la production éditoriale est désormais potentiellement concerné par cette mainmise traditionnelle en France4. La concentration des médias, en France, a atteint un niveau inédit qui n’est sans doute pas pour rien dans la multiplication des cas que vous citez. J’ajouterais encore le cas de ce film Merci Patron! sur Bernard Arnault qui n’a jamais été chroniqué dans Le Parisien.
Je crois toutefois qu’avec la polémique créée par l’affaire Bolloré, les patrons de presse ont aussi compris que des interventions trop brutales pouvaient leur être préjudiciables. Les réflexes d’autocensure, en revanche, risquent bel et bien de se multiplier.
A côté de la censure directe, d’autres méthodes se développent pour entraver le travail d’enquête.
Quand le panorama médiatique se concentre, le principal danger est l’autocensure. Certaines thématiques sont progressivement écartées des agendas rédactionnels.
A côté, on assiste aussi à une judiciarisation du travail des enquêteurs. La méthode est classique: on porte plainte contre un journal, un journaliste ou une association qui a parlé à un journaliste et pendant un, deux ou trois ans, le temps de la procédure, vous leur mettez la pression. Je suis moi-même mis en examen pour diffamation, au côté de plusieurs associations, dans une affaire de spéculation foncière en Corse sur laquelle j’avais enquêté. Dans ce cas précis, pour moi la question n’est pas financière, car je travaillais alors pour Canal+ mais les associations, elles, ont des frais très lourds au vu de leur petite taille. Pour des médias indépendants comme BastaMag et Mediapart, les frais de justice peuvent devenir très problématiques. Ce type d’attaques à répétition peut entraîner des autocensures: quand vous avez été attaqué plusieurs fois, vous y réfléchissez à deux fois de faire un sujet qui pique!
  • 1.
    Tant le Crédit Mutuel, qui a revendu sa filiale suisse à la luxembourgeoise Havilland, que la Banque Pasche nient les accusations. Une procédure en diffamation a été ouverte auprès de la justice monégasque.
    2.Précisons que Michel Lucas est aussi patron de son propre groupe médiatique – «Est, Bourgogne et Rhône-Alpes» (L’Est Républicain, Le Républicain lorrain, DN d’Alsace, L’Alsace, Le Dauphiné libéré, Vaucluse Matin, etc.) – qui pèse le tiers de la presse régionale nationale.
    3.Qui l’a diffusé en octobre 2015.
    4.Ajoutons Serge Dassault (Figaro), Martin Bouygues (TF1), Arnaud Lagardère (Europe 1, Le JDD) et Xavier Niel (Le Monde).


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    C’est l’enquête dont Canal+ n’a pas voulu. Elle porte sur le Crédit mutuel et l’évasion fiscale. Cinquante-cinq minutes d’investigation spécialement tirée au cordeau par Nicolas Vescovacci et Geoffrey Livolsi pour l’émission "Pièces à conviction", diffusée sur France 3 mercredi 7 octobre à 23h20.
    Yachts au mouillage, port de Monaco... Dès la première image, on comprend qu’il ne s’agit pas ici seulement d’argent, mais de fortune. Costume cravate, tenue élégante, deux hommes et une femme ont rendez-vous sur une terrasse ensoleillée. Ce sont trois ex-employés d’une banque. Les trois sources principales de ce film qui vise à dénoncer un système d’évasion fiscale, via Monaco, la Suisse et la France. On y parle de la banque Pasche, une filiale du Crédit mutuel-CIC, dont les valeurs sont le partage, la solidarité et l’exemplarité. 

    Le charme discret des banques suisses

    Albert Camus dégaine son smartphone et appelle sa banque à Genève. "Allo, c’est Albert Camus, L’étranger, à l’appareil…" Une voix répond : "A quiL’étranger désire-t-il parler ?""A son gestionnaire de compte", réplique Camus. Camus n’est pas le seul client de l’établissement. Il y a aussi Jules Verne, Simone de Beauvoir, Charles Baudelaire… Le journaliste raccroche. C’était donc vrai, il y a bel et bien des noms de code derrière lesquels se cachent nombre de grandes fortunes. Toutes ont le fisc en horreur et savent apprécier les charmes de la discrétion suisse. Cette scène constitue l’un des morceaux de bravoure du documentaire.
    Les pièces ne manquent pas dans cette démonstration pour le moins sulfureuse. Le film se présente d’ailleurs comme une investigation à livre ouvert. On y accompagne ce que fut le questionnement des trois cadres lorsqu’ils ont commencé à s’interroger sur d’importants mouvements de fonds au sein de leur banque, la Pasche, spécialisée dans la gestion des clients très riches. On assiste aussi à la contre-enquête des journalistes qui vont "au contact" des clients de l’établissement bancaire. Or ces gens-là n’apprécient pas vraiment ce genre de… contact. Ils préfèrent le dépôt en liquide avec liasses de billets de 500 euros à même le comptoir de la banque.

    Le "chômeur" italien dépose 200 000 euros en liquide

    Prenez cet Italien négociant en prêt-à-porter, qui a déposé en quatre mois plus de 200 000 euros à la Pasche de Monaco. En fait de négociant, c’est un chômeur, puisque de l’aveu même de ses proches, il n’aurait jamais travaillé. Lorsqu’il apprend que le journaliste s’intéresse un peu trop à lui, le coup de téléphone qu’il lui adresse est édifiant. "T’arrêtes d’appeler, t’as compris, c’est clair ?" Le ton est menaçant. Nul doute que ce monsieur sait ce que signifie l’usage de la force, cela sent le crime organisé. On fait mieux en matière de fonds "non douteux". Or, dans ce genre de situation, la loi monégasque oblige précisément le banquier à faire une "déclaration de soupçon". Sinon, il risque théoriquement une forte amende et de cinq à dix ans de prison pour ce délit pénal.
    Au fil des séquences, les pièces à conviction s’accumulent : les enregistrements des ex-employés alertant leurs supérieurs, les dénégations ou les aveux résignés de ces derniers. Confondant. On va même jusqu’à croiser l’actuel scandale des pots-de-vin de la Fifa. L’un des clients de la banque n’est autre que l’ancien président de la fédération de foot brésilienne. Et le FBI examine son cas de très près, un cas chiffré à 30 millions de dollars de corruption présumée.

    D'étranges services et de mystérieux porteurs de valises

    Les "aventures sonnantes et trébuchantes" de l’enquête ne s’arrêtent pas là. "Vous qui avez une grosse fortune, pour éviter l’impôt, nous avons la solution !" Tel était, semble-t-il, le credo des apporteurs d’affaires, des chargés de clientèle. Cela s’appelle du démarchage illicite et, là encore, les autorités françaises n’apprécient vraiment pas. Amendes lourdes et peines de prison sont à la clé. Or c’est un véritable système d’évasion fiscale qui est près d'être ici mis au jour. Le service rendu est des plus efficaces, avec collecte des fonds en liquide, transports par valises, 10% de commission au porteur du précieux bagage, et passage discret des fonds d’une banque à une autre. L’origine de ceux-ci n’est plus qu’un lointain souvenir. Ni vu ni connu, c’est ainsi que l’argent passerait les frontières.
    La justice est, bien sûr, saisie de ce présumé système d’évasion fiscale qui met en cause le Crédit mutuel-CIC et la banque Pasche. Les auteurs ont tenté de rencontrer les dirigeants. La réponse est toujours la même : "Tout cela n'a jamais existé. On ne commente pas les affaires sous main de justice. Un contrôle interne existe. On n’a jamais découvert aucune pratique illicite."
    La rédaction de Pièce à conviction vous invite à commenter l'émission sur sa page Facebook ou sur Twitter avec le hashtag #PacFTV

    L’UE va-t-elle tuer l’enquête économique?


    Informer n’est pas un délit naît en janvier 2015 lorsque des défenseurs de la liberté des médias et des journalistes comprennent qu’une disposition du projet de loi Macron I pourrait faire d’eux des délinquants. En accordant un «droit au secret des affaires», le texte du ministre de l’Economie rendait potentiellement illégale toute révélation d’un lanceur d’alerte comme d’un journaliste. Ecartée in extremis de la loi française, la disposition pourrait revenir en avril prochain à travers le droit européen. «Des affaires comme celles de Volkswagen, de LuxLeaks ou du Mediator ne pourraient plus être révélées selon la directive en discussion à Bruxelles», s’alarme Nicolas Vescovacci. Outre son travail de lobbyiste, le collectif, en voie de devenir association, a publié l’automne dernier un livre choral (Calmann-Levy), préfacé par Elise Lucet et dirigé par Fabrice Arfi et Paul Moreira, recensant les «nouvelles censures». M. Vescovacci espère que ce type d’initiative dépassera les cercles médiatiques: «La liberté d’informer nous concerne tous», estime-t-il, souhaitant que le collectif fasse le choix de devenir mouvement social plutôt qu’association corporatiste. BPZ


    Presse alternative et investigation en débats à Lausanne


    Une journée pour débattre des enjeux de la liberté d’informer et du droit à être informé. Samedi 9 avril 2016, dès 12 h, Le Courrier invite lecteurs et acteurs des médias à la maison de quartier Sous-Gare pour deux débats exceptionnels. Le premier réunira une brochette de médias alternatifs suisses (WochenZeitung, Le Courrier, Gauchebdo, Vigousse...) et français (BastaMag) pour échanger sur l’indispensable survie et développement d’une information libre et non marchande. Le second rassemblera sept journalistes, dont Nicolas Vescovacci, qui témoigneront des difficultés et de l’importance du travail d’investigation. Détails sur lecourrier.ch/9avril. CO

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