Nous en avions émis des doutes. Cette conférence nous apporte un cinglant démenti, mais aussi une grande satisfaction. Nous nous pouvons que le remercier pour le travail abattu, le courage dont il faut preuve.
C’est au cours d’une conférence de presse, organisée par les avocats de la famille Sankara, le 12 octobre à Ouagadougou, qu’ont été livrées ces informations.
Quatorze inculpés
Si le juge reste discret et communique peu, il a déjà auditionné, selon les avocats, une centaine de personnes, et versé au dossier les éléments relatifs aux relations entre Blaise Compaoré et Charles Taylor lors du procès de ce dernier au Tribunal spécial sur la Sierra Leone. Une nouvelle preuve de sa volonté de poursuivre son enquête au delà du Burkina Faso. Plusieurs libériens, anciens compagnons de Charles Taylor ont en effet affirmé avoir été présents lors de l’assassinat de Thomas Sankara et accusé la France et la CIA d’y avoir participé.
Autre signe d’une velléité d’indépendance du juge, il a auditionné Salif Diallo, le véritable leader politique du parti au pouvoir, le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès), et actuel président de l’assemblée nationale. Un audition logique, Salif Diallo étant dans la maison de Blaise Compaoré le jour de l’assassinat de Thomas Sankara. Mais néanmoins courageuse, car son passé est particulièrement sulfureux. Il a été cité lors le procès de Charles Taylor au Tribunal pénal pour la Sierra Leone, comme intermédiaire entre le Burkina et les troupes de Charles Taylor. Le syndicat étudiant le juge responsable de la mort de Dabo Boukari, assassiné dans les locaux de la police. Et il est accusé de torture dans un ouvrage récent de Valère Somé Les Nuits froides de Décembre.
Quatorze personnes ont été inculpées : Gilbert Diendéré, ancien chef du régiment de sécurité présidentielle, véritable numéro 2 du régime de Blaise Compaoré et auteur du coup d’Etat manqué de septembre 2015, un journaliste, Gabriel Tamini, et le médecin militaire Diébré Alidou. Ce dernier avait signé le certificat de décès avec la mention « mort de mort naturelle ». Les autres sont d’anciens militaires du Centre d’entraînement commando de Po, qui ont, par la suite, intégré le régiment de sécurité présidentielle sous les ordres de Gilbert Diendéré.
La demande d’extradition de Blaise Compaoré toujours sans réponse
Deux mandats d’arrêt ont été lancés accompagnés des demandes d’extraction.
Le premier contre Blaise Compaoré, réfugié en Côte d’Ivoire, le pays dirigé par son « ami » Allassane Ouattara. Il a, depuis, pris la nationalité ivoirienne, pour se soustraire à toute demande d’extradition. La Haute cours de justice a déclaré, il y a quelques mois, son incapacité à poursuivre Blaise Compaoré en sa qualité de président du Faso accusé d’« attentat à la Constitution et haute trahison » pour manque d’éléments constitutifs. Alors que le gouvernement, de son côté, avait annoncé sa volonté de régler les questions relatives au séjour de Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire par la voie diplomatique !
Le gouvernement du Burkina va-t-il se montrer très combatif pour inquiéter Blaise Compaoré et exiger son extradition ? On peut légitimement en douter. En plus de ce qui est rappelé plus haut, le président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, le président de l’Assemblée nationale Salif Diallo, et le ministre de l’intérieur Simon Compaoré ont soutenu Blaise Compaoré dès l’assassinat de Thomas Sankara en 1987. Ils ont ensuite travaillé à ses côtés pendant près de 21 ans, pour le second et près de 26 ans pour les deux autres, tous trois ayant quitté le CDP, le congrès pour la démocratie et le progrès, la parti de Blaise Compaoré, moins d’un an seulement avant l’insurrection d’octobre 2014. Outre les relations politiques, ces trois hommes politiques ont entretenu, avec le Président déchu, des relations d’amitié pendant très longtemps.
Les avocats ont précisé que la demande d’extradition concernant l’affaire Sankara avait été lancée en mars 2016, mais qu’aucune réponse officielle n’était jusqu’ici parvenue de la part des autorités ivoiriennes.
L’autre inculpé est le chef présumé du commando Hyacinthe Kafando, qui s’est enfui, craignant sans doute pour sa vie, sans que l’on sache où il se trouve. Il avait déjà disparu plusieurs années, pour des différents avec Gilbert Diendéré, semble-t-il, avant de revenir au Burkina pour se faire élire comme député, sous l’étiquette CDP !
Selon Jeune Afrique, Gilbert Diendéré aurait déclaré récemment au juge que Hyacinthe Kafando, pourtant sous son commandement, aurait agi de sa propre initiative ! Une façon facile de se disculper, Hyacinthe Kafando étant introuvable, ce dernier relevant pourtant de son commandement.
Les avocats n’ont par contre donné aucune information sur les résultats de la deuxième expertise demandée, pour vérifier, par les ADN, l’identité des personnes dont les restes ont été retrouvées lors des exhumations. Le fait que les résultats tardent à venir n’est pas forcément mauvis signe. Cetet fois les analysés ont été confiés à un laboratoire espagnol relevant d’une université, spécialisé dans la recherche des AD+N dégradés.
La première expertise n’avait pu identifier aucun des douze corps enterrés au cimetière de Gagnoen. Effectuée dans un laboratoire de la police judiciaire française, alors que la France est citée comme acteur possible d’un complot international, un doute pouvait planer sur ces résultats. Là encore, le juge a montré sa volonté de ne laisser rien en hasard en acceptant une deuxième expertise financée par le gouvernement.
Par deux fois l’avocat de la famille Sankara, maître Bénéwendé est venu à l’assemblée nationale rencontrer les députés écologistes et ceux du front de gauche pour appuyer cette demande, la deuxième fois avec madame Sankara. A chaque fois des conférences de presse ont été organisées. De nombreux débats sont organisés, en France mais aussi dans d’autres pays, à la suite de projection de films sur Thomas Sankara. Ils permettent de répondre précisément aux nombreuses questions que se pose le public sur la participation éventuelle de la France, de livrer une information complète sur l’assassinat de Thomas Sankara, et de récolter de nombreuses signatures à la signature des pétitions appelant à faire pression sur le parlement français.
Cette fois la France est directement et officiellement interpellée par une autorité judiciaire burkinabè.
Une commission rogatoire demande donc à la France la levée du secret défense. Cette fois ce ne sont pas des militants qui « fantasment », comme l’avait dit, de façon méprisante, l’ancien ambassadeur de France au Burkina, M. Gilles Thibault, mais bien un juge d’instruction via une procédure judiciaire officielle qui questionne la France et lui demande de prendre ses responsabilités.
Cinq ans après la première demande (voir à
http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion3527.asp ), Claude Bartolone, a du répondre après avoir reçu un courrier de nombreux députés du conseil national de la Transition mis en place après l’insurrection, soutenant l’ouverture d’une enquête parlementaire. Dans un courrier adressé aux membres du réseau international « Justice pour Sankara justice pour l’Afrique », il justifie ainsi son refus :
« une telle commission d’enquête n’aurait aucun pouvoir pour conduire des investigations dans un autre État » et « la procédure judiciaire désormais ouverte au Burkina » lui semble « l’instrument juridique le plus approprié pour rechercher les responsables de cette affaire ». Mais il ne s’agit pas d’enquêter au Burkina comme il l’a laissé entendre de mauvaise fois. Nous venons de montrer que le juge d’instruction le fait très bien, donnant plutôt l’exemple.
Les questions posées pour demander l’enquête parlementaire sont en effet les suivantes :
« Nous devons répondre aux questions suivantes : pourquoi Thomas Sankara a-t-il été assassiné ? Comment cet assassinat a-t-il été rendu possible ? Quels rôles ont joué les services français et les dirigeants français de l’époque ? La DGSE savait-elle ce qui se tramait et a-t-elle laissé faire ? (voir
https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/110915/affaire-sankara-claude-bartolone-place-la-france-en-retard-sur-le-burkina). C’est donc bien en France que doit être menée l’investigation pour répondre à ces questions, contrairement à ce que feint de croire M Bartolone !
Maintenant que l’enquête juridique se tourne vers le France, quelle va être la réponse des autorités françaises ? Cette fois ce sont bien les autorités judiciaires burkinabè qui ont fait la demande, par commission rogatoire, de la levée du secret défense. Il sera difficile de répondre une deuxième fois par une pirouette. Il est grand temps que la France se penche sur ses
actions passées en Afrique, plutôt que de s’enfermer dans le déni.
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