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Libérer l'argent de l'inflation et des taux d'intérêts

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Libérer l'argent de l'inflation et des taux d'intérêts

par + MARGRIT KENNEDY +

http://www.kennedy-bibliothek.info/data/bibo/media/GeldbuchFranzoesisch.pdf

Créer un moyen d'échange que tout le monde puisse utiliser et qui protège la Terre

 Copyright © 1990 by Permakultur Publikationen, Steyerberg der überarbeiteten und erweiterten Ausgabe 1994


Couverture : Les 4 Lunes Copyright © 1996 Éditions Vivez Soleil SA CH-1225 Chêne-Bourg/Genève ISBN : 2-88058-161-3 Tous droits réservés pour tous les pays de langue française Margrit Kennedy Libérer F argent de l'inflation et des taux d'intérêts Traduction de Loïc Cohen

 Sommaire Liste des figures 11 Remerciements 13 Introduction 15 1. Quatre Idées fausses très répandues sur l'argent ....17 Première idée fausse : Il n'y a qu'un seul type de croissance 20 Deuxième idée fausse : On ne paie des intérêts que lorsqu'on emprunte de l'argent 27 Troisième idée fausse : Avec le système monétaire actuel, nous sommes tous pareillement affectés par les intérêts 28 Quatrième idée fausse : L'inflation fait partie intégrante de l'économie de marché 34 2. Créer une monnaie sans inflation et sans Intérêts ..39 Le remplacements des intérêts par des mesures d'incitation à la circulation monétaire 42 Les premières expériences pilotes 44 La nécessité d'une réforme foncière 49 La nécessité d'une réforme fiscale 54 3. Qui profiterait d'un nouveau type de système Les avantages en général 61 Les défauts du système monétaire actuel 62 Les avantages dont bénéficierait le pays (ou la région) qui introduirait le premier ces changements 72 Les riches 74 Les pauvres 81 Les Églises et les groupes spirituels 88 Le commerce et l'industrie 90 Les agriculteurs 93 Les écologistes et les artistes 95 Les femmes 98 4. Quelques leçons tirées de l'histoire.. ........101 Le système monétaire « brakteaten » dans l'Europe médiévale 104 La république de Weimar et l'étalon-or 105 5. La réforme monétaire dans le contexte d'une transformation mondiale, oe comment procéder aux changements....... ....109 Remplacer la révolution par l'évolution 111 Une solution envisageable pour le proche avenir 115 La taxe sur l'argent immobilisé crée un système monétaire neutre 116 6. Comment apporter sa contribution à la période S'informer, faire prendre conscience aux autres 121 Parrainer des expériences pilotes 123 Mettre en place un système local d'échanges commerciaux 124 Soutenir les investissements « moraux » 125 7. Les applications concrètes d'aujourd'hui sont les embryons d'une nouvelle économie.......... .......127 Le système LET 130 Le réseau WIR et autres associations similaires 134 Les banques coopératives JAK en Suède 137 Avantages et inconvénients de la monnaie et des systèmes de crédit alternatifs 139 Adresses utiles 147 Revues 151 Liste des figures 1. Les modèles fondamentaux de schémas de croissance 21 2. Courbes de croissance constante 22 3. Exemples du pourcentage des intérêts inclus dans les prix et les tarifs ordinaires 26 4. Comparaison des intérêts payés et des intérêts reçus 30 5. Évolution de divers indicateurs économiques 33 6. En raison de l'inflation, chaque DM ne vaut plus que 28 pfennigs 36 7. Pour acquérir un terrain à bâtir en Allemagne de l'Ouest dans les années quatre-vingts, il fallait travailler trois fois plus que dans les années cinquante 51 8. Pourquoi l'économie est-elle prise dans cet engrenage ? 64 9. La croissance du PNB en R.F.A. entre 1950 et 1989 68 11 10. Avez-vous déjà vu de l'argent travailler ? 70 11. Distribution de la richesse monétaire en Allemagne de l'Ouest 80 12. Comparaison des taux d'intérêt, de chômage et du nombre des faillites 82 13. L'aide au développement 85 14. Nous sommes d'ores et déjà en pleine troisième guerre mondiale 87 15. Les coûts salariaux sont plus élevés que les seuls salaires 92 16. Hourra ! encore 2,5 % de croissance ! 94 17. Le chômage appauvrit, la pauvreté engendre la radicalisation 107 18. Assurer la circulation monétaire. Coût annuel moyen du crédit 114 19. Comparaison entre les crédits du système J.A.K. et ceux d'une banque normale Exemple 1 140 20. Comparaison entre les crédits du système J.A.K. et ceux d'une banque normale Exemple 2 141 12 Remerciements Ce livre doit son existence à tous ceux, nombreux, qui, partout dans le monde, ont été aussi stupéfaits par les travers bien cachés de notre système monétaire actuel que je l'ai moi-même été quand je les ai découverts pour la première fois. Leur curiosité et leur enthousiasme en ce qui concerne l'analyse et la solution de ce problème m'ont conduite à penser que cette question devrait être présentée d'une manière telle que chacun puisse la comprendre. J'aimerais remercier tout particulièrement trois enseignants, Dieters Sufart et Gesima Vogel, ainsi que le professeur Helmut Greutz. J'éprouve aussi une reconnaissance toute particulière envers mon mari et coauteur, le professeur Declan Kennedy, dont le soutien, aux plans rédactionnel, moral et pratique, m'a permis de franchir tous les obstacles pour mener à bien ma tâche. Les illustrations sont basées sur les graphiques conçus et dessinés par Helmut Greutz. A l'exception des figures relatives aux taux d'intérêt, toutes les autres statistiques ont été tirées de publications 13 émanant de la Banque Centrale d'Allemagne, de l'Agence fédérale des statistiques et d'autres documents officiels rédigés avant l'unification allemande. Professeur Maigrit Kennedy Steyerherg, Allemagne Janvier 1995 14 Introduction Il faut une certaine audace à un non-économiste pour écrire un livre sur l'économie, surtout si ce livre traite d'un des critères fondamentaux de la profession - l'argent. La plupart des concepts économiques sont exprimés en référence à l'argent. Les économistes l'utilisent comme les marchands utilisent les kilogrammes et les architectes les mètres. Ils mettent rarement en question son mode de fonctionnement, notamment le fait que, contrairement aux mètres et aux kilogrammes, il ne soit pas un étalon constant - que son cours varie aujourd'hui presque quotidiennement. Ce livre étudie le fonctionnement de l'argent. Il expose les raisons des changements incessants qui affectent l'une de nos plus importantes unités de mesure. 11 explique non seulement pourquoi l'argent « fait tourner le monde » mais aussi pourquoi, en même temps, il le ruine. L'énorme dette accumulée par les pays du Tiers Monde, le chômage, la dégradation de l'environnement, la course aux armements et la prolifération des centrales nucléaires, tous ces facteurs sont liés à un mécanisme qui permet à l'argent de circuler : les intérêts et les intérêts composés. Ceux-ci, selon l'historien de l'économie John L. King, constituent dans ce 15 que l'on appelle les « économies de marché » une « machinerie de destruction invisible ». La transformation de ce mécanisme en un moyen plus adapté au maintien de l'argent en circulation n'est pas aussi difficile que cela peut paraître. Bien que les solutions avancées dans ce livre soient connues de certains depuis le début du siècle, la façon et le moment où elles sont présentées offrent une occasion exceptionnelle de les mettre en œuvre. Le but de ce livre n'est pas de prouver que quiconque ait tort. Il est de remettre les choses en ordre et de révéler une possibilité dont nous disposons, mais qui est très peu connue des experts, sans parler du grand public. Pourtant, le choix est bien trop crucial pour qu'on laisse les seuls experts décider s'il faut l'envisager ou non. Dans ces conditions, l'Importance de ce livre réside dans sa capacité à expliquer des problèmes complexes aussi simplement que possible, afin que tous ceux qui utilisent l'argent puissent comprendre ce qui est en jeu. Une autre différence importante avec d'autres livres ayant abordé cette question dans le passé est qu'il montre comment, à l'heure actuelle, le fait de passer à un nouveau système monétaire créerait une situation ne présentant que des avantages pour tout le monde et contribuerait à établir, au bout du compte, une économie rationalisée. Cependant, une question demeure : pourrons-nous mettre en œuvre ces changements avant ou après la prochaine grande crise ? Dans un cas comme dans l'autre, il sera utile d'être informé sur la façon de créer un instrument d'échange qui fonctionne bien et soit adapté à tous. 16 CHAPITRE U N Quatre idées fausses très répandues sur l'argent 17 Chaque jour sur cette planète, tout le monde ou presque utilise l'argent. Cependant, peu de gens comprennent comment ce moyen d'échange fonctionne et affecte leur vie directement ou indirectement. C'est pourquoi nous allons examiner de plus près ce qu'est l'argent et ce qui se passerait s'il n'était pas là. Tout d'abord, les bonnes nouvelles : l'argent est l'une des inventions les plus ingénieuses de l'humanité, car il facilite l'échange des biens et des services et permet de dépasser les limites qu'impose le troc - l'échange direct des biens et des services. Ainsi, par exemple, si vous résidiez dans un village vivant uniquement de troc et produisiez des œuvres d'art mais qu'il n'y ait personne pour s'y intéresser en dehors du croque-mort, il vous faudrait rapidement soit changer de profession, soit quitter le village. L'argent autorise donc la spécialisation, laquelle est à la base de la civilisation. Mais pourquoi alors nous pose-t-il problème ? C'est ici qu'interviennent les mauvaises nouvelles : il ne facilite pas seulement l'échange des biens et des services, mais il peut également l'entraver pour la simple raison qu'il est détenu par ceux qui ont plus de ressources que nécessaire. Il se crée ainsi une sorte de « péage privé » où ceux qui sont dans le besoin paient un droit à ceux qui ont plus d'argent qu'il ne leur faut. Ce système est tout sauf équitable. En fait, les différents systèmes monétaires actuels pourraient être qualifiés d'« inconstitutionnels » dans la 19 plupart des pays démocratiques, ainsi que je le montrerai plus loin. Avant d'entrer dans les détails, permettez-moi de dire qu'il existe probablement plus de quatre idées fausses à propos de l'argent. Les différentes conceptions de ce dernier reflètent assez exactement les différentes vision du monde et celles-ci sont aussi nombreuses que les habitants de cette planète. Cependant, les quatre idées fausses que nous examinerons dans les pages suivantes sont celles qui nous empêchent le plus de comprendre pourquoi il est nécessaire de changer le système monétaire actuel et quels sont les mécanismes indispensables pour le remplacer. Première idée fausse : IL N'Y A QU'UN SEUL TYPE DE CROISSANCE La première idée fausse concerne la croissance. Nous avons tendance à croire qu'il n'existe qu'un seul type de croissance - le schéma de croissance de la nature dont nous avons l'expérience directe. La Figure 1, toutefois, montre trois schémas génétiquement différents. La courbe A représente une forme idéalisée du schéma normal de croissance de la nature auquel nous nous conformons, tout comme les animaux et les plantes. Nous grandissons relativement vite durant les premières étapes de notre vie, puis le rythme se ralentit à l'adolescence et, pour finir, notre croissance physique s'arrête vers l'âge de vingtet-un ans. Ce phénomène, cependant, ne nous empêche pas de croître - si ce n'est quantitativement, du moins qualitativement. 20 LES MODèLES FONDAMENTAUX DE SCHéMAS DE CROISSANCE A. Courbe naturelle B. Courbe linéaire C. Courbe exponentielle Figure n°l 21 COURBES DE CROISSANCE CONSTANTE Figure n°2 22 La courbe B représente un schéma de croissance linéaire ou mécanique - par exemple lorsque les machines produisent davantage de marchandises ou le charbon davantage d'énergie. Le phénomène s'épuise quand les machines s'arrêtent ou qu'on ne rajoute plus de charbon dans la chaudière. La courbe C représente un schéma de croissance exponentielle qui peut être décrit comme l'exact opposé de la courbe A en ce sens qu'il croît très lentement au début, puis de plus en plus rapidement, pour finalement monter en flèche de façon presque verticale. Dans le monde physique, ce schéma de croissance se manifeste d'ordinaire lors d'une maladie ou à l'approche de la mort. Le cancer, par exemple, suit un schéma de croissance exponentielle. Il se développe d'abord lentement, même s'il est en constante accélération, et souvent, au moment où on le découvre, il est entré dans une phase de croissance que l'on ne peut plus arrêter. La croissance exponentielle, dans le monde physique, s'achève en général avec la mort de l'organisme vivant et de son hôte. Fondé sur les intérêts simples et les intérêts composés, l'argent double de valeur à intervalles réguliers - en d'autres termes il suit un schéma de croissance exponentielle. Cela explique pourquoi nous avons aujourd'hui tant de problèmes avec notre système monétaire. Les intérêts, en réalité, se comportent comme un cancer au sein de la structure sociale. La Figure 2 montre les périodes de temps nécessaires pour que la valeur monétaire double lorsqu'elle varie suivant les intérêts composés : * à 3 %, 24 ans, * à 6%, 12 ans, * à 12 %, 6 ans. 23 Même à 1 % d'intérêts composés, nous constatons une courbe de croissance exponentielle, avec un doublement de la valeur de l'argent en 72 ans. Au niveau physiologique, nous ne connaissons que le schéma de croissance physique propre à la nature - une croissance qui s'arrête lorsqu'une taille optimale est atteinte (courbe A). Dans ces conditions, il est difficile pour des êtres humains de comprendre le véritable impact du schéma de croissance exponentielle dans le monde physique. Le meilleur exemple de ce phénomène est la célèbre histoire de cet empereur perse qui, découvrant avec enthousiasme le jeu d'échecs, décida d'exaucer n'importe quel vœu de son inventeur. Celui-ci, mathématicien intelligent, demanda que l'on place un grain de blé sur la première case de l'échiquier, puis que l'on double le nombre de grains à chacune des cases suivantes. L'empereur, qui dans un premier temps fut ravi de la modestie de cette requête, s'aperçut rapidement que la production totale de blé de son empire tout entier ne pourrait suffire à exaucer ce « modeste » vœu. La quantité de blé nécessaire à la soixantequatrième case de l'échiquier est égale à 440 fois la production de blé de la planète tout entière1 . Phénomène similaire, dans un domaine qui nous intéresse directement, un pfennig investi à la naissance de Jésus Christ à 4 % d'intérêt aurait permis d'acheter en 1750 une boule d'or égale au poids de la Terre. En 1990, cependant, ce même pfennig aurait permis d'acheter 8190 boules d'or égales au poids de la Terre. A 5 % d'intérêt, il aurait permis d'acheter une boule d'or en 1466. Et en 1990, il aurait pennis d'acheter 2200 milliards de boules d'or d'un Eckhard Eilers (manuscrit non publié), Rastede, 1985 24 poids égal à celui de la Terre2 . Cet exemple nous montre l'importance que peut représenter 1 % d'intérêt. Il prouve également que le paiement continuel d'Intérêts simples et d'intérêts composés est arithmétiquement, de même que pratiquement, impossible. La nécessité économique et l'impossibilité mathématique entraînent une contradiction qui - pour être résolue - a engendré dans le passé d'Innombrables conflits, guerres et révolutions. : Eckhard Eilers, ibid. 25 EXEMPLES DE POURCENTAGE DES INTéRêTS INCLUS DANS LES PRDF ET LES TARIFS ORDINAIRES 1. Coûts du ramassage des ordures : (exemple de la ville d'Aachen, 1983) A. Amortissements, coûts fixes d'exploitation, personnel, frais divers : 88 % B. Coût des intérêts du capital 12% Coût pour une poubelle de 110 litres : 194 DM 2. Coût de l'eau potable : (exemple d'une compagnie des eau allemande, 1981) A. B. C. D. E. 3. A. B. C. D. 4. A. B. C. D. E. Coût de l'énergie Entretien des installations Traitement des eaux Coûts fixes d'exploitation, personnel, etc. Amortissements Coût des intérêts du capital Prix du mètre cube d'eau : 136 DM Coût des canalisations sanitaires et de l'évacuation des eaux usées (exemple de la ville d'Aachen, 1983) Frais fixes Frais de personnel Amortissements Coût des intérêts du capital Prix au mètre cube : 1,87 DM. Éléments constitutifs des loyers des logements sociaux : (estimations du Bureau Fédéral des Statistiques, 1979) Pertes et profits Frais de gestion et de fonctionnement Frais d'entretien des bâtiments Amortissements Coût des intérêts du capital l % 6% i % 18% 30% 38% 19% 7 % 27% 47% 1 % 6% 5 % 1 % 77% Prix du loyer au mètre carré : 13,40 DM Figure n i°3 26 La solution aux problèmes occasionnés par la croissance exponentielle actuelle consiste à créer un système monétaire qui suive la courbe de croissance naturelle. Pour ce faire, il faut remplacer les intérêts par un autre mécanisme permettant de maintenir l'argent en circulation. Nous aborderons cette question en détail au chapitre 2. Deuxième idée fausse : ON NE PAIE DES INTéRêTS QUE LORSQU'ON EMPRUNTE DE L? ARGENT Il y a une autre raison pour laquelle il nous est difficile de comprendre le véritable impact du mécanisme des intérêts dans notre système monétaire : il fonctionne de manière insidieuse. Ainsi, la deuxième idée fausse est que nous payons des intérêts seulement lorsque nous empruntons de l'argent et que, si nous voulons cesser d'en payer, tout ce que nous avons à faire est d'éviter d'emprunter. La Figure 3 nous montre que c'est faux tout simplement parce que les intérêts sont inclus dans chaque prix que nous payons. Le montant exact varie en fonction du rapport coût du capital/ coût de la main-d'œuvre des biens et des services que nous achetons. Certains exemples nous indiquent clairement la différence. La part du capital dans le secteur du ramassage des ordures se monte à 12 % parce qu'ici la part des coûts du capital immobilisé est relativement faible et la part de la main-d'œuvre particulièrement élevée. La situation est différente en ce qui concerne l'installation de l'eau potable, car les coûts d'immobilisation du capital s'y élèvent à 38 %, et encore plus en ce qui concerne le logement social, où ils 27 s'élèvent à 77 %. En moyenne, 50 % des prix de nos biens et services correspondent aux coûts du capital. Dans ces conditions, si nous supprimions les intérêts et les remplacions par un autre mécanisme capable d'assurer la circulation monétaire, la plupart d'entre nous pourraient être deux fois plus riches ou bien réduire de moitié leurs temps de travail, tout en conservant le même niveau de vie. Troisième idée fausse : AVEC LE SYSTèME MONéTAIRE ACTUEL, Nous SOMMES TOUS PAREILLEMENT AFFECTéS PAR LES INTÉRÊTS La troisième idée fausse, en ce qui concerne notre système monétaire, pourrait être formulée comme suit : étant donné que nous devons tous payer des intérêts lorsque nous empruntons de l'argent ou achetons des biens et des services, nous profitons (ou pâtissons) tous de la même façon du système monétaire actuel. Encore une fois, cela est faux. En réalité, dans ce système, il y a d'énormes disparités entre ceux qui profitent et ceux qui payent. La Figure 4 montre une comparaison entre les intérêts payés et les profits qu'ils engendrent dans dix groupes numériquement égaux de la population allemande. Elle indique que les huit premiers groupes déboursent davantage qu'ils ne reçoivent, que le neuvième reçoit légèrement plus qu'il ne paye et que le dixième reçoit les intérêts que les huit premiers ont perdus. Ce graphique nous explique, d'une manière très simple et directe, la raison pour laquelle « les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent ». 28 En examinant de plus près les derniers 10 % de la population pour ce qui est des profits engendrés par les intérêts, on remarque un autre schéma de croissance exponentielle : pour le dernier 1 % de la population, la colonne « revenus » devrait être 15 fois plus large. Pour le dernier 0,01 % de la population, elle devrait être 2000 fois plus large. 29 COMPARAISONS DES INTéRêTS PAYéS ET DES INTéRêTS REçUS Dans dix groupes de foyers constitués chacun de 2, 5 millions de foyers Intérêts payés ou reçus = 270 DM (1982) Toutes les valeurs sont en milliers de Deutsch Marks par année et par foyer Figure n°4 30 GROUPE S D E FOYER S SELO N L E REVEN U Intérêts payés 2.3 4.1 5.9 6.5 7.6 9.1 10.5 13.5 16.3 32.3 Intérêts reçus 0.5 0.7 1.1 1.5 2.3 3.2 5.5 8.8 18.0 S6.5 Solde -1-8 -3.4 -4.8 -5.0 -5.3 -5.9 -5.0 -4.7 +1.7 +34.2 En d'autres termes, à l'intérieur de notre système monétaire, nous acceptons que se mette en place un mécanisme de redistribution caché qui détourne l'argent de ceux qui n'en ont pas assez vers ceux qui en ont trop. C'est là une forme d'exploitation bien plus subtile que celle que Marx essayait de supprimer. Il avait sans conteste raison de situer la source de la « plus-value » au niveau de la production. La distribution de la « plus-value », toutefois, se produit dans une large mesure au niveau de la circulation de l'argent et des biens. De nos jours, on peut s'en rendre compte bien plus clairement qu'à l'époque. Des sommes d'argent toujours plus grandes sont concentrées dans les mains d'individus et de sociétés de moins en moins nombreux. Ainsi, par exemple, l'excédent de cash-flow - la marge brute d'autofinancement des entreprises - qui circule dans le monde partout où des profits peuvent être espérés en raison des fluctuations des diverses monnaies nationales ou des variations des cours des différentes Bourses a plus que doublé depuis 1980. La masse quotidienne des devises échangées est passée, à New York seulement, de 18 milliards de dollars à 50 milliards de dollars entre 1980 et 19863 . La Banque mondiale a estimé que le volume des transactions monétaires dans le monde est de 15 à 20 fois plus élevé que ne le nécessite le financement du commerce mondial4 . Le mécanisme des intérêts simples et composés ne se contente pas d'engendrer une croissance économique pathologique, mais, comme l'a fait remarqué Dieter Suhr, il agit dans la plupart des pays contre les droits 3 Spiegel Interview : "Ich sehe die Risiken ganz genau", à propos du danger d'un krach financier et du problème de la dette, Spiegel, N°25, Rudolph Augstein Co., Hamburg, 1987, p. 59 "Helmut Creutz, Wachstum bis zur Krise, Basis Verlag, 1986, p. 8 31 constitutionnels des individus5 . Si la raison d'être d'une constitution est de garantir à chaque citoyen un accès égal aux services publics - et le système monétaire peut être considéré comme tel - alors un système dans lequel 10 % des gens reçoivent continuellement davantage que ce qu'ils paient pour ce service, et ce aux dépens des 80 % qui reçoivent moins que ce qu'ils paient, devrait être considéré comme illégal. 5 Dieter Sufar, Geld ohne Merwert, Knapp Verlag, Francfort sur le Main, 1983. 32 EVOLUTION DE DIVERS INDICATEURS éCONOMIQUES Source : Helmut Creutz, à partir de rapports de la Banque Fédérale, etc. Figure n°5 33 On pourrait penser qu'un changement dans notre système monétaire profiterait à « seulement » à 80 % de la population, c'est-à-dire à ceux qui, actuellement, paient plus qu'ils ne devraient. Cependant, je démontrerai au chapitre 3 que tout le monde profiterait de ce changement, y compris ceux qui profitent du système « cancéreux » qui est le nôtre actuellement, vie. Quatrième idée fausse : L'INFLATION FAIT PARTIE INTéGRANTE DE L'ECONOMIE DE MARCHé La quatrième idée fausse a trait au rôle de l'inflation dans notre système économique. La plupart des gens considèrent l'inflation comme une composante de tout système monétaire, une composante presque « naturelle » étant donné qu'il n'existe pas un seul pays à économie de marché dans le monde qui en soit exempt. La Figure 5, Évolution de divers indicateurs économiques, montre certains des facteurs susceptibles de provoquer l'inflation. Alors que le revenu de l'État, le produit national brut et les traitements et salaires du contribuable moyen n'ont augmenté « que » d'environ 400 % entre 1968 et 1989, les paiements d'intérêts de l'État ont, eux, augmenté de 1360 %. La tendance est claire : la dette de l'État dépassera tôt ou tard ses recettes, y compris dans les pays industrialisés. Si un enfant triplait de taille, disons, entre un an et neuf ans et que dans le même temps ses pieds deviennent onze fois plus grands, on dirait que sa croissance est pathologique. Ici, le problème est que très peu de gens se soucient d'observer les symptômes de la maladie qui affecte le système monétaire et 34 qu'Us sont encore moins nombreux à proposer un remède. La preuve en est que personne n'a été en mesure d'établir un modèle efficace et « sain » qui ait tenu la route. Peu de gens réalisent que l'inflation n'est qu'une autre forme d'imposition grâce à laquelle les gouvernements peuvent résoudre dans une certaine mesure le lancinant problème d'une dette en augmentation constante. 35 EN RAISON DE L'INFLATION, CHAQUE D M NE VAUT PLUS QUE 2 8 PFENNIGS * Quelles sont les causes de cette supercherie chronique ? * Qui sont les gagnants et qui sont les perdants ? * Pourquoi n'avons-nous pas de monnaie stable ? Figure n°6 36 Manifestement, plus le fossé s'élargit entre le revenu et la dette, plus il est nécessaire que l'inflation augmente. L'autorisation donnée aux banques centrales de battre monnaie permet aux gouvernements de réduire leurs dettes. La Figure 6 montre la diminution de la valeur du DM entre 1950 et 1989. Cette dévaluation frappe surtout les 80 % de gens qui, la plupart du temps, paient plus qu'ils ne devraient. Ils ne peuvent d'ordinaire retirer leurs actifs pour les placer dans des valeurs « résistant à l'inflation » - l'immobilier ou autres investissements - comme le font les 10 % des gens appartenant à la tranche supérieure des revenus. Un historien de l'économie, John L. King, relie l'inflation aux intérêts engendrés par l'expansion du crédit. Dans une lettre datée du 8 janvier 1988 qu'il m'a personnellement adressée, il déclare ceci : « J'ai beaucoup insisté sur le fait que les taux d'intérêt constituent la cause principale de la hausse des prix en raison de leur inclusion dans le coût de tout ce que nous achetons, mais cette idée, quoique totalement fondée, n'est pas bien acceptée. A un taux de 10 % d'intérêts, le coût de la dette intérieure américaine - neuf mille milliards de dollars - s'élève à 900 milliards de dollars d'intérêts, payés par l'augmentation des prix, soit une hausse de 4 %, qualifiée d'inflation par les experts. J'ai toujours considéré le principe des intérêts composés comme une machinerie de destruction invisible, laquelle fonctionne à plein rendement actuellement. Il est donc urgent de se débarrasser de cette obsession financière insensée. » Depuis 33 ans, la dette publique et privée américaine s'est accrue de 1000 %, la paît principale de cette dette globale revenant au secteur privé. Mais le gouvernement fédéral a utilisé toutes ses ressources pour favoriser cet 37 accroissement : prêts garantis, subventionnement des taux hypothécaires, versement initiai très bas, facilités de paiement, crédits d'impôt, marché secondaire, garantie par l'État des dépôts à terme, etc. La raison de cette politique est que si l'on veut que la majorité de la population puisse supporter les conséquences de ce système basé sur les intérêts, il faut absolument créer une croissance économique qui suive le taux de croissance exponentielle de la monnaie - un cercle vicieux avec un effet d'accélération et d'escalade. Que nous considérions l'inflation, la justice sociale ou les conséquences sur l'environnement, il semblerait logique, à de nombreux points de vue, de remplacer cette « obsession financière insensée » par un mécanisme mieux adapté au maintien de la circulation monétaire. 38 même, réduiraient les impôts nécessaires pour subvenir aux charges publiques. L'aspect technique de cette réforme monétaire sera expliqué dans les deux prochains chapitres. LES PREMIèRES EXPéRIENCES PILOTES Au cours des années trente, les partisans de « l'économie libre » [Freiwirtschaft], adeptes de la théorie de Gesell, eurent l'occasion de mettre en pratique leur projet d'une monnaie sans intérêts, et ce, dans le but de résoudre le problème du chômage et de démontrer la validité de leurs idées. Il y eut des tentatives d'introduction de cet « argent libre » en Autriche, en France, en Allemagne, en Espagne, en Suisse et aux Etats-Unis. Une des expériences les plus réussies eut lieu dans la ville autrichienne de Wörgl7 . Entre 1932 et 1933, cette petite ville tyrolienne de Wörgl s'engagea dans une expérience qui, jusqu'à nos jours, a été une source d'inspiration pour tous ceux qui se sont intéressés au problème de la réforme monétaire. Le maire réussit à convaincre les commerçants et l'administration qu'ils avaient tout à gagner de tenter l'expérience proposée par Silvio Gesell dans son livre, L'Ordre économique naturel. Les habitants acceptèrent et c'est ainsi que le conseil municipal émit 32 000 « certificats de travail » ou « shillings libres » (c'est-à-dire des shillings sans intérêts), couverts en 7 Werner Onken, "Ein vermessenes Kapital der Wirtschafts geschiente. Schwanenkirchen. Wörgl und undere Freigeld expérimente", Zeitschrift für Sozialökonomie, NR 58/59, Mai 1983, pp. 3-20 44 tourne autour du Soleil - bien que nos sens nous donnent à penser le contraire. Gesell proposa d'assurer la circulation monétaire en faisant de l'argent un service public dont l'utilisation serait soumise à un droit. Et c'est là qu'intervient le message central de ce livre : Au lieu de payer des intérêts à ceux qui ont davantage d'argent qu'ils n'en ont besoin, les gens devraient payer un droit (minime) s'ils ne mettent pas leur argent en circulation. Afin de mieux comprendre cette idée, il peut être utile de comparer l'argent à un wagon de marchandises, lequel facilite également l'échange des biens et des services. Contrairement aux États qui émettent la monnaie, la compagnie de chemin de fer n'accorde pas une prime à l'usager pour décharger le wagon et par là même le remettre en « circulation » - au contraire, le client paye une petite redevance journalière s'il ne le décharge pas. Dans le nouveau système monétaire, il suffirait d'appliquer le même principe à l'argent. La communauté ou la nation qui émet une « nouvelle » monnaie afin de faciliter les échanges de biens et de services prélève un droit de « stationnement » auprès de l'usager qui conserve plus de temps que nécessaire cette nouvelle monnaie. Ce changement, aussi simple qu'il puisse paraître, peut résoudre les nombreux problèmes sociaux occasionnés par les intérêts simples et composés tout au long de l'Histoire. Alors que, de nos jours, les intérêts constituent un profit privé, dans ce nouveau système monétaire, les droits perçus sur l'utilisation de la monnaie constitueraient un profit pour l'État. Le produit de ces droits devrait réintégrer le flux monétaire afin de maintenir l'équilibre entre la masse monétaire et le volume de l'activité économique. Ces droits constitueraient un revenu pour le gouvernement et, par là 43 L'explication que donnait Silvio Gesell de ce phénomène était que la monnaie, à l'inverse d'autres biens et services, peut être conservée sans frais. Si un individu possède un sac de pommes et un autre l'argent nécessaire pour acheter ces pommes, le premier est obligé de les vendre dans un laps de temps relativement court afin de ne pas perdre son capital. Les détenteurs d'argent, de leur côté, peuvent attendre jusqu'à ce que le prix d'une marchandise leur convienne, car l'immobilisation de leur argent n'entraîne pas nécessairement des « coûts de possession ». Gesell en conclut que si nous pouvions créer un système monétaire qui place l'argent sur un pied d'égalité avec tous les autres biens et services (en prélevant, en moyenne, 5 % du prix pour « frais d'immobilisation », ce qui correspond exactement, en ce qui concerne l'argent, à ce qui a été payé sous la forme d'intérêts tout au long de l'Histoire), nous aurions une économie libérée des fluctuations de la spéculation monétaire. Il suggérait de faire en sorte que l'argent puisse « rouiller », c'est-à-dire qu'il soit soumis à une « taxe d'utilisation ». LE REMPLACEMENTS DES INTéRêTS PAR DES MESURES D'INCITATION À LA CIRCULATION MONéTAIRE En 1890, Silvio Gesell formula une théorie de l'argent et d'un « ordre économique naturel » . Cette théorie est aussi éloignée des notions de capitalisme ou de communisme que le monde de Copernic l'est de celui de Ptolémée. Le Soleil, de fait, ne tourne pas autour de la Terre. C'est la Terre qui 42 Vers la fin du XIXe siècle, Silvio Gesell, un négociant dont les affaires étaient florissantes, tant en Allemagne qu'en Argentine, avait observé que ses marchandises se vendaient parfois rapidement et à très bon prix, et qu'en d'autres circonstances la vente se faisait lentement et à des prix moins élevés. Il commença à s'interroger sur les raisons d'un tel phénomène. 11 comprit bientôt que ces fluctuations n'avaient que peu de rapport avec l'utilité et la qualité de ses marchandises, mais presque exclusivement avec le « prix » de l'argent sur le marché monétaire. Il se mit donc à observer ces mouvements et découvrit que lorsque les taux d'intérêt étaient bas, les gens achetaient, mais que lorsqu'ils étaient élevés, ils n'achetaient pas. La raison pour laquelle il y avait plus ou moins d'argent tenait en partie à la volonté de ceux qui détiennent l'argent de le louer à d'autres. Si le rendement de leur argent était inférieur à 2,5 %, ils avaient tendance à le conserver, ce qui entraînait un arrêt des investissements, lequel à son tour engendrait faillites et chômage. Puis, au bout d'un certain temps, lorsque les gens étaient prêts à payer davantage d'intérêts pour leur argent, celui-ci était à nouveau disponible, ce qui créait un nouveau, cycle économique. Les prix des marchandises et les taux d'intérêt augmentaient alors sensiblement. Par la suite, peu à peu, des réserves monétaires plus importantes entraînaient dans un premier temps une baisse des taux d'intérêt, puis à nouveau une « grève » du capital. 41 CHAPITRE DEU X reer une monnaie sans inflation et sans intérêts 39 banque par la même somme en shillings autrichiens ordinaires. Avec cette monnaie, ils construisirent des ponts, améliorèrent les routes et les services publics, réglèrent des salaires, achetèrent des matériaux et, de plus, payèrent le boucher, le cordonnier et le boulanger. Le droit perçu pour l'utilisation de cette monnaie était de 1 % par mois, soit 12 % par an. Il devait être acquitté par la personne qui détenait des billets à la fin du mois, sous la forme d'un timbre valant 1 % du billet et collé au dos de celui-ci. Sinon, le billet n'était pas valable. Cette petite taxe incitait tous ceux qui possédaient des shillings libres à les dépenser avant d'utiliser leurs shillings habituels. Les gens payaient même leurs impôts en avance afin d'échapper à la petite taxe. En l'espace d'un an, les 32 000 shillings libres changèrent de mains 463 fois, créant de la sorte des biens et services d'une valeur de 14 816 000 shillings. Le shilling ordinaire, en revanche, n'avait changé de mains que 21 fois8 . A une époque où la plupart des pays d'Europe connaissaient de graves problèmes de chômage, Wörgl réduisit son taux de chômage de 25 % au cours de cette seule année. Les droits perçus par la municipalité, qui eurent pour résultat que cette monnaie changeait si rapidement de mains, s'élevèrent à 12 % des 32 000 shillings libres, soit 3840 shillings. Cet argent fut utilisé pour le bien public. Lorsque plus de 170 communes autrichiennes se mirent à envisager l'adoption de ce modèle, la Banque Nationale d'Autriche considéra que son monopole était en danger. Elle engagea une action contre le conseil municipal et interdit l'émission de sa monnaie locale. En dépit d'une longue 8 Fritz Schwartz, Das Experiment von Wörgl, Genossenschaft Verlag, Berne, 1952 45 bataille judiciaire qui monta jusqu'à la Cour Suprême autrichienne, ni Wörgl ni aucune autre commune européenne n'a été en mesure jusqu'ici de renouveler cette expérience. Dans son livre, Capitalism at its Best9 , Dieter Suhr présente un rapport sur le mouvement pour « F argenttimbre » [stamp scrip money] de Hans R. L. Cohrssen qui, associé à l'économiste Irving Fisher, tenta d'introduire aux Etats-Unis, également en 1933, le concept de Gesell : celui d'une monnaie soumise à une taxe. A cette époque, plus d'une centaine de communes, y compris plusieurs grandes villes, avaient projeté de mettre en place un système de monnaie provisoire. Cette question fut traitée au plus haut niveau, à Washington, par le ministre du Travail, celui de l'Intérieur et celui des Finances. Ceux-ci ne s'y montrèrent pas opposés, mais aucun d'eux n'avait le pouvoir d'accorder les autorisations nécessaires. Finalement, Dean Acheson (qui devait par la suite devenir ministre des Affaires étrangères), avant de prendre une décision, demanda son opinion au professeur Russell Sprague, conseiller économique du gouvernement. Cohrssen se souvient de la grande cordialité de cette rencontre : « Le professeur Sprague me dit... qu'en principe, il n'y avait pas d'objection à ce qu'on utilise de Targenttimbre'dans le but de créer des emplois. Cependant, notre projet lui paraissait aller bien au-delà de cet objectif : il s'agissait d'une tentative de remodeler le système monétaire américain et de toute façon il n'avait lui-même aucune autorité pour approuver une telle proposition. Cela mit fin non seulement à notre mouvement, mais également à un ' Dieter Suhr, Capitalism at its Best (manuscrit non publié), 1988, p. 122. 46 projet exemplaire qui aurait effectivement pu engendrer une réforme monétaire. »10 Le 4 mars 1933, le président Roosevelt donna l'ordre aux banques de fermer temporairement leurs portes, et il interdit que l'on ait recours à cet expédient qu'est la planche à billets. Cohrssen conclut : « En résumé, nous pouvons affirmer que les difficultés techniques pour atteindre la stabilité monétaire sont mineures comparées à l'incompréhension générale du problème lui-même. Aussi longtemps que l'illusion monétaire... ne sera pas dépassée, il sera impossible de mobiliser la volonté politique, sans laquelle il n'y a pas de stabilité monétaire possible. »" Selon la suggestion d'Otani12 , l'aspect technique de la réforme, basée sur les modes de paiement d'aujourd'hui, rendrait le recouvrement d'une « taxe d'utilisation » sur la nouvelle monnaie beaucoup plus simple. Les 90 % de ce que nous appelons « argent » ne sont que des données numériques. Dans ces conditions, chacun de nous aurait deux comptes : un compte courant et un compte d'épargne. L'argent déposé sur le compte courant, à tout moment à la disposition du titulaire du compte, serait traité comme du liquide et pourrait voir sa valeur diminuer dans une proportion très minime de l'ordre de 1 % par mois ou 6 % par an. Toute personne disposant de plus d'argent sur son compte courant qu'elle n'en a besoin pour régler toutes ses dépenses mensuelles serait incitée par la taxe à transférer cette somme sur un compte d'épargne. A partir de là, la banque serait en 10 Hans R. L. Cohrssen, "The Stamp Scrip Movement in the USA", ibid, p. 118 "ibid,p.l22 12 Yoshito Otani, Ursprung und Lösung des Geldproblems, Arrow Verlag Gesima Vogel, Hamburg, 1981 47 mesure de prêter cet argent sans Intérêts à ceux qui en ont besoin, durant un certain temps et, de cette façon, le compte d'épargne ne serait pas taxé (cf. chapitre 6). Le détenteur de la nouvelle monnaie ne toucherait donc pas d'intérêts sur son compte d'épargne - mais la nouvelle monnaie garderait sa valeur. Dès lors que les intérêts sont supprimés, l'inflation n'a plus de raison d'être (cf. chapitre 1). La personne bénéficiant d'un crédit ne paierait pas d'intérêts, mais une prime de risque et des frais bancaires assez comparables à ceux qui sont inclus dans tout prêt bancaire. Ces charges s'élèvent aujourd'hui en Allemagne à environ 2,5 % du coût normal du crédit. Il n'y aurait donc en pratique que très peu de changement. Les banques fonctionneraient comme à l'ordinaire, si ce n'est qu'elles seraient plus disposées à accorder des prêts car elles aussi seraient soumises à un droit d'utilisation, comme tout un chacun. Afin d'équilibrer temporairement le montant disponible du crédit et de l'épargne, elles seraient peut-être contraintes de payer ou de recevoir de faibles intérêts selon qu'elles disposeraient ou non, dans les comptes d'épargne, de cette nouvelle monnaie en quantité plus grande qu'elles n'en ont besoin ou qu'elles auraient ou non des problèmes de liquidités. Dans ce cas, les intérêts ne serviraient que de mécanisme régulateur et non de mécanisme de redistribution des richesses, comme ils le font aujourd'hui. Cette réforme serait basée sur un ajustement très précis de la quantité d'argent en circulation à la quantité d'argent nécessaire pour gérer toutes les transactions. Lorsque la nouvelle monnaie aura été créée en quantité suffisante pour traiter toutes les transactions, Il ne sera plus nécessaire d'en émettre davantage. Cela signifie que l'argent suivrait alors un 48 schéma de croissance « naturelle » (courbe A, Figure 1) et non plus un schéma de croissance exponentielle. Un autre aspect technique de la mise en œuvre d'une telle réforme monétaire concerne la prévention de la thésaurisation. Il existe une solution plus élégante que celle qui consiste à coller un timbre au dos d'un billet de banque : elle consisterait à imprimer des billets de banque de couleurs différentes afin que diverses séries de ces billets puissent être retirées une ou deux fois par an, sans préavis. Cela ne coûterait pas plus cher au gouvernement que le remplacement des vieux billets de banque usagés par de nouveaux billets, ainsi que cela se pratique aujourd'hui. Comme le montrent les expériences américaines et autrichiennes, l'aspect politique de cette réforme revêt une importance plus grande que son aspect technique. Nous en reparlerons au chapitre 3. Si la réforme monétaire décrite ci-dessus devait être mise en œuvre sur une grande échelle, une réforme de l'impôt foncier devrait lui être associée. Sans une réforme foncière, l'argent en excédent aurait tendance à s'investir dans la spéculation foncière. Sans une réforme de la fiscalité, le boom économique consécutif à l'introduction de la monnaie sans intérêts pourrait avoir de graves conséquences sur l'environnement. LA NéCESSITé D'UNE RéFORME FONCIèRE L'argent et la terre sont deux choses indispensables à notre vie. Nous ne pouvons vivre sans terres, quelle que soit la nature de nos activités. La terre, donc, comme l'air et l'eau, 49 devrait appartenir à tout le monde. Comme le disent les Indiens d'Amérique du Nord : « La Terre est notre Mère. Comment pourrait-on la diviser et la vendre ? » La terre devrait appartenir à la communauté et ensuite être louée par cette dernière à tous ceux qui l'utilisent pour leurs besoins. C'était la conception et l'usage dans de nombreux pays européens jusqu'à l'introduction au Moyen Âge du droit romain, lequel accordait une grande importance à la propriété privée. De nos jours, le monde est partagé entre deux systèmes : * la propriété et l'utilisation privées de la terre dans les pays capitalistes ; * la propriété et l'utilisation communes de la terre dans les pays à économie socialiste. Dans les pays capitalistes, c'est la majorité des gens qui payent pour les profits colossaux tirés de la spéculation sur les terres privées (Figure 7) et la terre est de plus en plus concentrée entre des mains de moins en moins nombreuses. Dans les pays à économie socialiste, l'utilisation non rentable des terres de la communauté constitue le problème principal. Dans i'ex-Allemagne de l'Ouest, environ 70 % des terres appartiennent à 20 % de la population. Au Brésil et dans d'autres pays du Tiers Monde, les propriétaires fonciers représentent une minorité qui ne dépasse pas 2 ou 3 % de la population. Les problèmes, dans les pays capitalistes, sont donc en partie liés à la propriété privée de la terre. Dans les pays communistes, par exemple dans l'exURSS, où la terre était possédée et utilisée de manière collective, environ 60 % des denrées alimentaires étaient produites sur des terres privées. Cela signifie que la source des problèmes résidait dans la propriété et l'utilisation collectives de la terre. 50 POUR ACQUéRIR UN TERRAIN à BâTIR EN ALLEMAGNE DE L'OUEST DANS LES ANNéES 80, IL FALLAIT TRAVAILLER 3 Fois PLUS QUE DANS LES ANNéES 50 Sans prendre en considération la contribution des propriétaires, la valeur des terrains à bâtir s'est accrue de mille milliards de DM depuis 1950. * Pour quelles raisons la terre est-elle devenue de plus en plus chère à l'achat ? * Qui sont les bénéficiaires de la politique actuelle ? * Que faudrait-il changer pour créer une situation plus équitable ? Figure n°7 51 Une combinaison de l'utilisation privée et de la propriété collective de la terre constituerait la solution la plus avantageuse pour parvenir à la justice sociale et favoriser îe développement personnel. C'est exactement la démarche que préconisaient Henry George en 187913 , Silvio Gesell en 190414 et Yoshlto Otani en 198113 . Concrètement, aujourd'hui, cela impliquerait qu'une commune rachète en bloc toutes ses terres et les loue à bail à tous ses habitants. Les pays dotés d'une constitution progressiste n'auraient, au niveau des idées, aucune difficulté à introduire ces changements. C'est ainsi que la constitution de l'ex-République fédérale d'Allemagne définit la terre comme un patrimoine porteur d'une responsabilité « sociale ». Jusqu'à présent, toutefois, cette responsabilité sociale n'a pas été assumée. La Figure 7 montre qu'en moyenne, en 1982, les gens devaient travailler trois fois plus longtemps qu'en 1950 pour acheter une propriété. Au vu des conséquences catastrophiques des expropriations dans les pays communistes, aucune nation occidentale ne serait aujourd'hui en mesure de proposer l'expropriation des terres sans Indemnisations à la clé. Bien que le droit romain - qui a réintroduit, il y a environ cinq siècles, la notion de propriété privée de la terre dans les nations occidentales - ait été Imposé de force aux peuples par leurs conquérants, ceux qui au début en ont bénéficié appartiennent maintenant à un passé révolu et, de nos jours, les propriétaires ont acheté la terre qu'ils occupent ou bien en ont hérité légalement. 13 Henry George, Progress and Poverty, San Francisco, 1879 14 Gesell, op. cit., p.74 15 Yoshito Otani, Die Bodenfrage und ihre Lösung, Arrow Verlag Gesima Vogel, Hamburg, 1981 52 Dans ces conditions, une société ayant le souci de l'équité devrait allouer une indemnisation quelconque aux personnes expropriées. Une possibilité envisageable sur le long terme consisterait à imposer une petite redevance d'environ 3 % par an sur la valeur de chaque parcelle de terre. Le produit de ces redevances serait reversé à la commune et affecté à l'achat de terres disponibles sur le marché. De cette façon, la commune deviendrait propriétaire de ses terres en un peu plus de 33 ans. L'autre solution serait que les propriétaires fonciers soient informés de la possibilité de ne pas payer de redevances à condition de vendre leurs terres à la commune. Ainsi, par exemple, la taxe de 3 % serait déduite du prix normal après 33 ans. Il n'y aurait pas d'échange monétaire. Dans l'intervalle, les propriétaires auraient encore le droit d'utiliser leurs terres - mais après la période de 33 ans, ils leur faudrait payer annuellement à la commune un loyer de 3 % de la valeur foncière. Cette législation aurait pour effet immédiat de mettre un terme à la spéculation foncière. La plupart des terres que les gens possèdent aujourd'hui seraient mises en vente afin d'éviter des pertes continuelles. Plus II y aurait de terres disponibles, plus le prix de celles-ci baisserait, tandis que beaucoup plus de gens auraient la possibilité d'utiliser de manière productive la terre disponible. Cela pourrait avoir, principalement dans les pays en voie de développement, un effet considérable sur la production alimentaire, car la diminution constante des denrées alimentaires disponibles par rapport au nombre de gens à nourrir n'est pas une question de technique agricole, mais tient au fait qu'il y a de moins en moins de terres disponibles pour les petites exploitations agricoles. 53 Dans les pays en vole de développement comme dans les pays industrialisés, les locataires bénéficieraient, dans ce nouveau système, de tous les avantages de la réglementation actuelle sur les baux héréditaires. Ils pourraient utiliser leurs propriétés dans les limites des restrictions imposées par les plans locaux d'occupation des sols. Ils pourraient construire sur leurs terres. Ils pourraient vendre leurs maisons ou les léguer à leurs descendants. Ils pourraient, sans que la commune s'en mêle, les louer à des tiers aussi longtemps que ces derniers paieraient leur loyer. En déterminant le montant exact du loyer grâce à des soumissions, à des enchères publiques ou à tout autre procédé similaire, l'inefficacité caractéristique des procédures des économies planifiées ou bureaucratiques pourrait être évitée. Ce changement soulagerait enfin d'un énorme fardeau les populations actives qui, en fin de compte, paient toujours pour les profits des spéculateurs. La terre, en fait, a toujours été utilisée dans des buts spéculatifs. Dans ces conditions, une évolution réaliste vers une solution sociale viendra à bout de la spéculation monétaire et foncière. Là encore, la solution proposée ne vise pas à punir ceux qui profitent du système actuel : elle a pour raison d'être de mettre fin, lentement mais sûrement, à une situation qui offre d'énormes avantages à un petit nombre de gens, tout en contraignant le plus grand nombre à payer pour eux. LA NéCESSITé D'UNE RéFORME FISCALE En Allemagne, on estime à l'heure actuelle que la part du produit national brut « soupçonnée » d'entraver une 54 économie respectueuse de l'environnement est de 50 à 75 %16 . Dans ces conditions, s'efforcer d'augmenter la production et l'emploi grâce aux réformes foncières et monétaires préconisées pourrait nécessiter deux changements dans la façon dont sont prélevés les impôts, car sans ces mesures, de grands désastres écologiques risqueraient fortement de se produire : (1) substituer une taxe sur les produits à l'impôt sur le revenu ; (2) intégrer à cette taxe sur les produits les coûts écologiques estimés. Hermann Laistner17 , qui explique cette idée en détail dans son livre, Die Ökologische Wirtschaft [L'Économie écologique], fait remarquer que l'impôt sur le revenu rend finalement la main-d'œuvre plus chère, ce qui entraîne une mécanisation accrue. Celle-ci, à son tour, favorise l'épuisement des ressources limitées, en raison de la baisse continue du prix des produits de grande consommation. Si une taxe sur les produits était introduite - laquelle inclurait également leurs coûts écologiques estimés - les prix auraient, dans une certaine mesure, tendance à augmenter. Associé à un moindre coût de la main-d'œuvre, ce système rendrait moins nécessaire l'automatisation accrue de la production et davantage de gens trouveraient du travail. Aujourd'hui, la collectivité paie deux fois quand un travailleur est remplacé par une machine. D'une part elle perd l'impôt sur le revenu - les revenus des machines n'étant pas imposés - et d'autre part elle paie des allocations chômage au travailleur privé d'emploi. Par ailleurs, le travail 16 Pierre Fomaliaz, Die Ökologische Wirtschaft, AT Verlag, Stuttgard. 1986 17 Hermann Laistner, Die Ökologische Wirtschaft, Verlag Max Huber, Ismanning près Munich, 1986 55 au noir a pris de nos jours une grande ampleur parce que les gens veulent échapper à l'impôt sur le revenu. Si ce dernier était supprimé, cette économie parallèle pourrait enfin devenir légale. Tout en n'entraînant aucune baisse du niveau de vie - parce que l'augmentation des prix serait compensée par l'absence d'impôt sur le revenu - ce changement entraînerait à long terme chez le consommateur des comportements très différents et plus proches des préoccupations écologiques. Les gens réfléchiraient à deux fols avant d'acheter une nouvelle voiture, car cela reviendrait beaucoup plus cher que de réparer l'ancienne. Ce changement de système fiscal pourrait être Introduit progressivement, même sans réforme monétaire et foncière. Il épaulerait efficacement bon nombre des revendications et propositions avancées par les écologistes depuis des dizaines d'années. Associé aux deux autres réformes, Il rendrait obsolètes de nombreux problèmes liés à l'environnement et de nombreuses « mesures de protection », tout en contribuant à résoudre le problème du chômage. 56 CHAPITRE TROIS MI profiterait d'un nouveau type de système monétaire ? 57 Les évolutions sociales et individuelles semblent se produire pour trois raisons fondamentalement différentes : (1) parce qu'une crise, due à un type de comportement particulier, s'est déjà produite et donc pour éviter qu'elle ne se répète ; (2) parce qu'une crise, due à un type de comportement particulier, pourrait se produire et donc précisément pour l'éviter ; (3) parce qu'un autre type de comportement semble plus approprié pour parvenir au résultat escompté. Le changement de système monétaire proposé au chapitre précédent pourrait survenir pour n'importe laquelle de ces raisons, pour une combinaison de ces raisons ou pour toutes ces raisons réunies. (1) Dans le passé, l'accumulation cancéreuse des richesses a été régulièrement entravée par les révolutions sociales, les guerres et les crises économiques. De nos jours, l'interdépendance économique sans précédent de toutes les nations et le potentiel extraordinaire de destraction globale rend ce mécanisme de résolution des conflits inacceptable. Nous sommes obligés de trouver des solutions nouvelles pour éviter d'autres guerres, révolutions ou crises économiques. (2) Selon de nombreux spécialistes de l'économie et de la finance, le krach boursier de 1987, au cours 59 duquel 1500 milliards de dollars s'envolèrent en fumée en l'espace de quelques jours, ne fut en fait que broutille comparé au danger imminent d'une nouvelle grande crise économique, semblable à celle de 1929, qui a de fortes chances de se produire si nous ne procédons pas à des changements fondamentaux au cours des quelques années à venir18 . En changeant maintenant de système monétaire, nous pourrons éviter les coûts énormes, au plan humain et matériel, d'un tel désastre. (3) Que nous soyons capables ou non de comprendre que toute courbe de croissance exponentielle s'achève inéluctablement par une autodestruction, les avantages d'un passage à un nouveau système monétaire sont si évidents en termes d'équité sociale et environnementale que cette voie devrait être empruntée pour la simple raison qu'elle est meilleure que celle où nous sommes engagés actuellement. Quoi qu'il en soit, le problème principal dans tout processus de transformation n'est pas tant la peur du changement ou le fait que l'on ne voit pas bien les avantages de ce à quoi l'on aspire, mais plutôt de savoir comment passer d'une situation à une autre - comment sauter d'un trapèze à l'autre sans mettre sa vie en danger ? Afin de mieux comprendre comment cette transformation pourrait aux groupes sociaux les plus divers d'atteindre leurs buts, examinons d'abord de plus près les défauts du système monétaire actuel, puis les avantages du nouveau système pour les riches et pour les pauvres, les dirigeants et les individus, les minorités et la majorité, les 18 John L. King, On the Brink of Great Depression II, Future Economie Trends, Goleta, CA, 1987, p.36 60 Industriels et les écologistes, les matérialistes et les spiritualistes. A ce moment particulier de l'histoire, dans cette situation de crise que nous avons nous-mêmes créée, le point intéressant est que tout le monde verrait son sort s'améliorer au sein d'un nouveau système monétaire. Nous serons tous dans une situation ne présentant que des avantages si nous réalisons les changements nécessaires. Mais II est grand temps de se mettre à l'ouvrage. LES AVANTAGES EN GéNéRAL Jusqu'ici, dans notre analyse, nous avons examiné des faits et des chiffres que tout le monde peut vérifier. A partir de maintenant, nous nous baserons sur des « hypothèses sérieuses » qui reposent sur des expériences passées. La justesse de ces hypothèses devra être corroborée par des exemples réels. Une question, cependant, nous vient immédiatement à l'esprit : pour quelles raisons un pays ou une région choisiraient-iîs d'essayer ce nouveau système monétaire ou d'en être le terrain d'essai ? Si notre analyse a été correcte jusqu'ici, les solutions préconisées présentent, entre autres, les avantages suivants : (1) l'élimination de l'inflation, (2) une plus grande justice sociale, (3) un chômage en baisse, (4) une baisse des prix de l'ordre de 30 à 50 %, (5) un boom économique immédiat, (6) et enfin, une économie stable. 61 LES DéFAUTS DU SYSTèME MONéTAIRE ACTUEL Dans la plupart des pays, la frappe de la monnaie reste le monopole de l'État. Dans ces conditions, toute expérimentation du nouveau système monétaire - même sur une petite échelle, à l'échelon régional par exemple - devrait bénéficier du soutien du gouvernement. Il est évident que l'introduction d'une monnaie sans intérêts constituerait un problème hautement politique. Il faut du courage à n'importe quel gouvernement pour admettre qu'un système si inégalitaire ait pu être toléré jusqu'ici. D'un autre côté, pour la plupart des gens, il est manifestement très difficile de comprendre pourquoi une « taxe » sur l'argent est une meilleure solution que les intérêts. A l'heure actuelle, les responsables gouvernementaux, les hommes politiques, les banquiers et les économistes s'efforcent de trouver des solutions aux problèmes qu'engendrent les défauts fondamentaux du système en traitant les symptômes et en proposant des solutions à court terme. Lors des campagnes électorales, les hommes politiques promettent régulièrement de combattre l'inflation, d'améliorer les services sociaux, de s'attaquer aux problèmes de l'environnement et de la protection de la nature. En vérité, ils se battent le dos au mur et la situation, loin de s'améliorer, ne cesse de se dégrader au fur et à mesure que l'on se rapproche de la phase d'accélération de la courbe de croissance exponentielle du système monétaire. Loin d'apporter des améliorations dans les domaines des services sociaux et de l'environnement, les coupes sombres pratiquées dans les budgets entraînent une aggravation de la situation. Qu'il s'agisse d'hommes politiques conservateurs 62 ou progressistes, Il y a en vérité très peu d'espace, dans le système actuel, pour un véritable changement. La Figure 8 explique les raisons de cette situation. Dans toute économie très diversifiée, chaque secteur est intimement lié à un autre. Si l'on pénalise trop un secteur, on ne manque pas de provoquer des désordres, non seulement dans ce secteur, mais également dans les autres. 63 POURQUOI L'ECONOMIE EST-ELLE PRISE DANS CET ENGRENAGE ? * Ces réactions en chaînes peuvent-elles être stoppées ? * Qui devrait intervenir ? * Qu'est-ce qui devrait changer dans le mécanisme de la circulation monétaire ? Figure n°8 64 Lorsque la dette publique et son coût augmentent, une plus grande quantité d'argent va vers les détenteurs de la richesse monétaire. En même temps, ceux qui travaillent ont moins d'argent à leur disposition pour consommer, ce qui entraîne les fluctuations du marché et leurs conséquences négatives sur l'emploi. Les gouvernements qui accroissent leurs dettes pour boucler leurs budgets amplifient ainsi invariablement ce phénomène de réactions en chaîne. Le nouveau système monétaire contribuerait à réduire l'augmentation disproportionnée des dettes ainsi que la concentration, entre les mains d'un petit nombre, de l'argent et des richesses, et assurerait l'échange régulier des biens et des services dans une économie de marché. Si déjà nous avons l'impression que la situation est difficile dans les pays industrialisés, nous ferions bien de jeter un regard sur celle des pays du Tiers Monde, qui subissent les pires conséquences du système actuel. Alors que les grandes banques américaines et allemandes accroissent leurs réserves afin d'être prêtes à faire face à l'effondrement financier de leurs débiteurs dans les pays en voie d'industrialisation, les pays industrialisés continuent à importer une partie de leur capital. En accordant de nouveaux prêts pour contribuer au remboursement des anciens, ils prolongent et amplifient la crise de la dette internationale. Le fait que cette tendance doive absolument s'inverser a été clairement démontré dans le rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement de l'O.N.U, intitulé Notre futur commun. Ce document prouve également que les crises de l'économie mondiale et de l'écologie planétaire, apparemment distinctes, n'en constituent en réalité qu'une seule. .65 «L'écologie et l'économie sont de plus en plus interdépendantes - au niveau local, régional, national et mondial - selon un déterminisme strict dans l'enchaînement des causes et des effets... Les dettes qu'elles ne peuvent pas rembourser obligent les nations africaines à s'en remettre à la vente de leurs matières premières jusqu'à l'épuisement de leurs sols fragiles, lequel a pour conséquence de transformer la terre en désert... Les systèmes de production d'autres pays en voie de développement souffrent tout autant des défaillances locales que des mécanismes des systèmes économiques internationaux. Conséquence de la « crise de la dette » des pays d'Amérique Latine, les ressources naturelles de cette région sont maintenant utilisées non pas pour le développement, mais pour faire face aux obligations financières envers les créanciers étrangers. Cette approche du problème de la dette est, à différents points de vue - économique, politique et écologique - une vision à court terme des choses. Elle implique que des pays relativement pauvres acceptent simultanément une pauvreté croissante tout en exportant des quantités toujours plus importantes de leurs maigres ressources. Les inégalités constituent le principal problème « écologique » de la planète, et ce sont elles qui entravent le plus son développement. »19 Selon M. Herrhaus, directeur de la plus grande banque allemande (la Deutsche Bank), « La structure et la dimension du problème défient les techniques traditionnelles de résolution des problèmes. »20 19 UN World Commission on Environment and Development, Our Common Future, Oxford University Press, Oxford and New York, 1982 20 Interview au Spiegel, op. cit., p.59 66 Ceux qui gèrent le système monétaire actuel savent pertinemment qu'il ne peut durer. Cependant, ou bien ils ignorent l'existence d'une alternative possible, ou bien ils refusent d'en entendre parler. La Figure 9 nous donne au moins une explication à cette attitude. Par rapport au produit national brut et à l'accroissement de la dette, les banques se sont adjugé une part disproportionnée de la richesse nationale. Cela est dû en partie aux bas taux d'intérêt qui procurent aux banques de meilleurs profits, mais aussi à une spéculation monétaire accrue. Tout cela entraîne une augmentation des frais de courtage. Les banquiers avec qui j'ai discuté de ce problème n'avaient pas connaissance d'une solution de rechange. Dès lors que je leur avais présenté cette alternative, ils en tiraient souvent la conclusion qu'ils ne pouvaient la divulguer sans mettre en danger leur situation. Les banques ne souhaitent pas débattre ouvertement de la façon dont fonctionne le système des taux d'intérêt, sauf dans une perspective à long terme. A l'heure actuelle, elles changent manifestement leur fusil d'épaule. 67 LA CROISSANCE DU PNB EN R.F.A. ENTRE 1950 ET 1989 Le PNB a été multiplié par 22. La dette nationale a été multipliée par 75. Les transactions bancaires ont été multipliées par 88. * Quelles sont les causes de cette croissance démesurée dans le domaine monétaire ? * Quelles sont les conséquences de ce phénomène pour la société ? * Que pourrait-on faire pour réduire ce déséquilibre ? Figure n°9 68 La Figure 10 nous montre quelques déclarations fallacieuses que l'on trouve dans des publicités que les banques font publier dans des magazines et des journaux partout dans le monde. L'argent - disent les banquiers - doit « croître », « se multiplier ». Le plus souvent, elles essayent de convaincre les gens que l'argent devrait « travailler » pour eux. Cependant, personne n'a jamais vu de l'argent « travailler ». Le travail a toujours été le fait des hommes, avec ou sans machines. Ces publicités dissimulent le fait que tout DM ou dollar qui arrive dans les mains d'un investisseur résulte des efforts accomplis par une autre personne, laquelle a été spoliée de cette somme, quelle que soit la façon dont cela s'est produit. En d'autres termes, les gens qui travaillent pour gagner leur argent s'appauvrissent au même taux que les investisseurs s'enrichissent. C'est là le véritable mystère de l'argent qui « travaille » - un mystère que les banques n'aiment pas du tout voir dévoiler. Selon mon expérience, ceux qui, du fait de leur éducation, devraient prendre conscience du problème et de sa solution -j e veux parler des économistes - craignent pardessus tout d'être qualifiés d'« extrémistes ». En effet, pour eux, soutenir un système monétaire sans intérêts reviendrait à essayer de s'attaquer aux racines de l'un des problèmes économiques mondiaux les plus urgents. Deux des plus grandes personnalités de ce siècle, Albert Einstein et John Maynard Keynes, ont clairement perçu l'importance de la réforme monétaire proposée par Gesell. Keynes a même déclaré en 1936 : « L'avenir tirera plus de leçons des idées de Gesell que de celles de Marx. »21 21 John Maynard Keynes, The General Theorie of Employaient, Interest and Money, London, 1936 (réédité en 1967), p.355 69 AVEZ-vous DéJà VU DE L'ARGENT TRAVAILLER ? L'ARGENT DOIT TRAVAILLER.. Pour avoir de bons dividendes ! Si vous faites bien travailler votre argent, vous pourrez partir à la retraite sans inquiétude. Ce mark peut vous rapporter plus que vous ne croyez. L'ARGENT Gagnez de l'argent Gagnez de l'argent Gagnez de l'argent Il y a en moyenne 200 000 DM derrière chaque emploi. * Comment est-il possible de gagner de l'argent avec de l'argent ? * Qui contribue à la productivité ? * Qui tire profit du « travail » de l'argent ? Figure n°10 70 Cet avenir, toutefois, n'est pas encore là, bien que banquiers et économistes n'aient nul besoin d'être très clairvoyants pour admettre qu'un nouveau système monétaire leur permettrait de résoudre le dilemme central auquel ils sont confrontés depuis des décennies. Voici comment John L. Ring décrit leur aveuglement dans son livre, On The Brink of Great Depression II [ A la veille de la deuxième grande dépression] : « Leurs statistiques, résultats de calculs informatiques longs et complexes, se sont avérées si inadéquates que, parvoie de conséquence, leurs prédictions sont devenues célèbres pour leur grossière inexactitude. C'est comme si nous avions appris à ces gens à aller au-delà de leur faculté de penser. »~ Personnellement je crois que, à l'inverse de la plupart des techniciens, les économistes ne comprennent pas vraiment le danger qu'implique une croissance exponentielle. Ils sont capables de reconnaître ce danger dans la prolifération du viras du sida ou dans « l'explosion démographique » ; mais dans leur propre domaine, ils paraissent pratiquement aveugles et ont la certitude naïve qu'un traitement symptomatique, ici et là, suffira à écarter le danger. Les gouvernements qui introduiraient ce type de réforme monétaire seraient rapidement amenés à œuvrer pour la justice sociale et la survie au plan écologique, ainsi que pour la guérison des maux qui affectent la monnaie et qui, durant des décennies, ont constitué pour ce qu'on appelle les « économies libérales » un véritable fléau. 1 Mm L. King, op. cit., p. 162 71 LES AVANTAGES DONT BéNéFICIERAIT LE PAYS (OU LA RéGION) QUI INTRODUIRAIT LE PREMIER CES CHANGEMENTS La possibilité d'investir et de produire sans avoir à payer des intérêts ne permettrait pas seulement de diminuer le prix des biens et des services dans les régions ou les pays qui introduiraient le nouveau système monétaire, mais elle constituerait également un énorme avantage pour les industries et les produits en compétition sur le marché national ou sur les marchés mondiaux. Quel que soit le taux d'intérêt en vigueur, les prix des biens et les services seraient beaucoup moins élevés. Cela entraînerait rapidement un boom économique dans les régions qui, les premières, auraient introduit l'argent sans intérêts. On pourrait penser que ce changement aurait comme inconvénient de constituer une menace pour l'environnement. En réalité, en dehors de la possibilité d'instaurer un meilleur système fiscal (comme celui décrit ci-dessus), nous devons envisager la situation suivante. Beaucoup de produits et services qui, à l'heure actuelle, ne peuvent rivaliser avec le pouvoir rémunérateur de l'argent sur le marché monétaire, deviendraient subitement économiquement viables. Parmi ces biens et services, il y aurait de nombreux produits écologiques et des projets à caractère social et artistique, lesquels pourraient être souvent menés à bonne fin à condition de « rentrer dans ses frais ». Tout ceci engendrerait une base économique plus diversifiée, plus stable et sans danger pour l'environnement. Le taux de chômage baisserait en même temps que l'activité économique s'épanouirait, ce qui aurait pour effet 72 de rendre moins nécessaires les allocations chômage, de mettre un terme au développement incessant de la bureaucratie et à la hausse des impôts. Si l'argent sans intérêts n'était introduit que dans une seule région, il faudrait qu'il y ait un taux de change modéré pour faciliter l'activité commerciale entre cette région et les autres régions du pays. Jusqu'à ce que le pays tout entier adopte le nouveau système monétaire, il faudrait établir certaines règles pour prévenir les opérations de change spéculatives. Si l'argent sans intérêts était introduit dans un pays tout entier, le commerce avec les pays étrangers se poursuivrait comme aujourd'hui. Il y aurait toujours un taux de change ordinaire. Cependant, la stabilité de cette monnaie entraînerait au fil des années une augmentation des taux de change en sa faveur par rapport à d'autres monnaies, parce qu'elle ne courrait pas le risque d'être dévaluée en raison de l'inflation. Dans ces conditions, le fait d'investir dans cette monnaie constituerait un réel avantage par rapport aux monnaies instables, telles que le dollar actuellement. Tout comme dans le cas de Wörgl décrit plus haut (cf. chapitre 2), deux systèmes monétaires pourraient même coexister. Nous pourrions conserver celui que nous avons actuellement tout en introduisant la nouvelle monnaie, et ce, même dans une région ou une ville relativement petite. Selon la loi de Gresham, la « mauvaise » monnaie chasse la « bonne ». La monnaie que nous voulons créer est, au sens où l'entendait Gresham, une « mauvaise » monnaie - soumise à une taxe d'utilisation, à l'inverse de la monnaie actuelle. Chaque fois que les gens pourront payer avec la « mauvaise » monnaie, ils la feront circuler et conserveront précieusement la « bonne ». De cette façon, la nouvelle sera 73 utilisée aussi souvent que possible, ce qui correspond exactement à l'effet recherché. L'ancienne sera conservée et utilisée dans la mesure du nécessaire. Ce faisant, Introduit au début en tant que système expérimental dans une région particulière, le système monétaire proposé pourrait également coexister avec le système actuel jusqu'à ce qu'il ait prouvé son utilité. Qui d'autre pourrait tirer profit d'un nouveau système monétaire ? LES RICHES Les personnes qui commencent à comprendre l'efficacité du mécanisme caché de redistribution de la richesse dans le système monétaire actuel posent souvent cette question cruciale : est-ce que les 10 % de la population qui profitent présentement de ce mécanisme permettront le moindre changement susceptible de mettre à mal la possibilité qu'ils ont de soutirer sans travailler un revenu à la grande majorité des gens ? La réponse historique est bien sûr que non - à moins d'y être contraints par ceux qui paient. La nouvelle réponse est la suivante : bien sûr que oui, s'ils prennent conscience du fait que « la branche sur laquelle Us sont assis pousse sur un arbre malade » et qu'il existe un « arbre de remplacement sain » - un arbre qui ne risque pas de s'abattre à plus ou moins long terme. La seconde réponse implique l'évolution sociale ; c'est la voie « douce ». La première réponse implique la révolution sociale ; c'est la voie « dure ». La voie « douce » donne aux riches la possibilité de conserver leurs profits liés au système des intérêts. La voie 74 « dure » les conduira inéluctablement à des pertes importantes. La voie « douce » n'implique aucune mise en cause de ceux qui ont tiré profit des taux d'intérêt avant l'instauration du nouveau système monétaire, étant donné qu'ils étaient totalement dans leurs droits en agissant de la sorte. La voie « dure » de la révolution sociale risque d'être bien plus douloureuse. La voie « douce » implique que l'on ne gagnera plus d'argent sans travailler. En revanche, elle est synonyme de monnaie stable, de baisse des prix et sans doute d'une baisse des impôts. La voie « dure » implique une insécurité grandissante, l'instabilité, une inflation galopante, des prix en hausse et des impôts élevés. Jusqu'ici mon expérience avec les individus faisant partie des « 10 % les plus riches » a été la suivante : ils n'ont pas pleinement conscience du fonctionnement réel du système des taux d'intérêt, ni de l'existence de solutions de rechange. Dans leur grande majorité, ils auraient tendance à choisir la sécurité plutôt que des profits supplémentaires, car ils ont presque tous assez d'argent pour eux-mêmes et parfois même pour les générations à venir. La seconde question est la suivante : qu'arriverait-il si les riches transféraient leur argent dans d'autres pays où ils pourraient profiter de taux d'intérêt supérieurs, au lieu de le mettre sur leurs comptes d'épargne où il garderait sa valeur mais ne fructifierait pas ? La réponse est que très peu de temps après l'introduction de la réforme, ils feraient probablement l'opposé. En effet, ce que les gens gagnent dans d'autres pays grâce aux intérêts, déduction faite de l'inflation, serait à peu près équivalent à l'accroissement en valeur de la nouvelle monnaie chez eux, du fait que celle-ci ne serait pas soumise à l'inflation. 75 En fait, le danger pourrait se situer exactement à l'opposé. Il y a le risque de créer une sorte de « superSuisse » avec une monnaie stable et une économie en pleine expansion. En Suisse, des années durant, les investisseurs devaient même payer des intérêts pour laisser leur argent sur un compte en banque. A l'inverse, les Etats-Unis, qui offraient les plus hauts taux d'intérêt au début de l'administration Reagan, attirèrent ainsi les excédents monétaires de toute la planète, ce qui conduisit ce pays à dévaluer de manière drastique le dollar afin de faire face à ses obligations vis-à-vis de ses créanciers à l'étranger. Avec des taux d'intérêt à 15 %, les Etats-Unis auraient dû reverser, après cinq années, environ deux fois les sommes investies par les bailleurs de fonds étrangers. Ils n'auraient jamais pu honorer ces obligations si le dollar avait conservé sa valeur initiale. Une autre conséquence de cette politique fut que les Etats-Unis passèrent d'une situation où ils étaient le plus grand État créancier du monde à celle du plus grand État débiteur, et ce, en l'espace de huit années seulement. La quantité colossale de capitaux flottants - estimés à environ 50 milliards de dollars !! - qui circulent dans le monde d'une place financière à une autre, à la recherche d'investissements rentables, démontre qu'il y a pénurie de possibilités de tels investissements plutôt que pénurie d'argent. Cette situation changerait dans une région ou un pays qui, en introduisant une monnaie sans intérêts, créerait une économie en pleine expansion, stable et diversifiée. Il est probable que c'est l'excédent monétaire venu de l'extérieur qui serait investi sur le marché intérieur et non l'excédent monétaire intérieur qui quitterait la région. A bien des égards, il serait donc plus rentable pour les riches de participer à l'avènement de la réforme monétaire et 76 de soutenir un système stable, plutôt que de contribuer à une instabilité croissante et de risquer un krach inévitable. Une troisième question relative à la frange la plus riche de la population concerne ceux qui vivent de leur capital et sont trop âgés pour travailler. Quel sera leur sort si les intérêts sont supprimés ? Pour ce qui est des taux d'inflation et d'intérêt, un exemple pris en Allemagne montre que ceux qui peuvent aujourd'hui vivre du produit de leur capital sont en mesure de le faire pour au moins une génération, si ce n'est deux ou plus encore. En supposant que l'actif immobilisé d'une personne se monte à 1 million de DM (avec un taux d'intérêt moyen à 7 % et un taux d'inflation à 3 %), ses revenus bruts s'élèveront à 40 000 DM par an, sans diminution du capital. Dans le nouveau système monétaire, les intérêts et l'inflation sont supprimés, ce qui diminue le prix de tous les biens et services ainsi que les impôts d'environ 40 %. Cela signifie que cette même personne aura besoin d'un revenu brut de 24 000 DM pour pouvoir garder le même niveau de vie que dans le système actuel. Si nous divisons 1 000 000 par 24 000, nous voyons que cette personne pourrait vivre pendant 40 ans de son capital. Ce que montre cet exemple, c'est que pratiquement tous ceux qui actuellement sont en mesure de vivre de leur propre capital le seront également si le système monétaire change. Parmi les 10 % les plus riches de la population, il y a ceux dont les actifs dépassent un million de DM.. Mais il y a aussi ceux qui, chaque jour, gagnent plus d'un million de DM d'intérêts. Selon des sources officielles23 , le revenu quotidien de la Reine d'Angleterre, la femme la plus riche du monde, était de 700 000 livres (environ 6 millions de francs) en 23 Aachener Nachrichten, 29.5.85 77 1982. Bien que ni la Reine, ni des entreprises comme Siemens, Daimler-Benz et General Motors n'aient de véritable pouvoir officiel, les sommes considérables que détient tout ce beau monde constituent en réalité un pouvoir officieux. Les scandales des pots-de-vin versés par des grandes entreprises pour financer des partis politiques en Allemagne, aux Etats-Unis et dans d'autres pays occidentaux, ont démontré que toutes les démocraties sont menacées quand on laisse se perpétuer le mécanisme actuel de redistribution monétaire. Avec le temps, ceux qui croient vivre dans une démocratie se retrouveront, dans le meilleur des cas, sous le joug d'oligarchies ou, dans le pire, sous un régime fasciste. Au Moyen Âge, les gens se plaignaient parce qu'ils devaient payer la dîme - un dixième de leurs revenus ou de leur production - au propriétaire féodal. A cet égard, leur sort était plus enviable que le nôtre : aujourd'hui, plus d'un tiers de chaque DM ou dollar paie les intérêts du capital. Ceux qui tirent le plus profit de cette situation sont les super-riches, les multinationales, les grandes compagnies d'assurances et les banques. Nous avons maintenant deux possibilités : soit nous comprenons que le système monétaire actuel engendre l'injustice sociale et, par voie de conséquence, nous nous efforçons de le changer, soit nous préférons attendre un effondrement économique ou écologique planétaire, ou encore une guerre ou une révolution mondiale. Étant donné qu'il est impossible que des individus ou de petits groupes puissent à eux seuls changer le système monétaire actuel, nous devons nous efforcer de rassembler ceux qui ont compris comment le transformer et ceux qui ont le pouvoir de le faire. Dans cette perspective, les points suivants doivent être clairs : 78 * ceux qui, actuellement, profitent du système des intérêts ne doivent en aucun cas être mis en accusation, car ils sont pour l'instant parfaitement dans leur droit ; * toutefois, ce à quoi l'on peut mettre un terme, c'est à la possibilité qu'ont les gens de puiser continuellement de l'argent dans l'économie sans travailler ; * il ne devrait pas y avoir de lois stipulant les modalités futures d'investissement par ceux qui en ont plus d'argent que nécessaire. S'ils sont intelligents, ils le laisseront de toute façon dans leur pays, ce qui entraînera un nouveau boom économique grâce à la suppression du système des intérêts. 79 DISTRIBUTIO N D E L A RICHESS E MONéTAIR E EN ALLEMAGNE DE L'OUEST A quelle catégorie de la population appartenez-vous ? Comment une telle injustice a-t-elle pu se développer ? Quelles sont les conséquences d'une telle concentration de la richesse ? Figure m°ll 80 LES PAUVRES Les pauvres bénéficieraient-ils aussi d'un nouveau système monétaire ? Si l'on établissait la moyenne des avoirs en Allemagne, chaque famille allemande aurait disposé en 1939 d'une fortune personnelle de 100 000 DM. Ce serait une formidable preuve de prospérité si cette richesse était justement répartie. La triste réalité est que la moitié de la population doit se contenter de 4 % de cette richesse tandis que l'autre moitié en détient 96 %. (Figure 11). Pour être plus précis, la richesse de 10 % des citoyens augmente continuellement aux dépens de tous les autres. On comprend ainsi pourquoi, en Allemagne, les familles issues de la petite bourgeoisie sont de plus en plus obligées de rechercher une aide financière auprès des bureaux d'aide sociale. Le chômage et la pauvreté augmentent en dépit d'un système de protection sociale impressionnant mis en place pour venir à bout de ces deux fléaux. L'élément déterminant dans le système de redistribution de la richesse est le système des intérêts qui soutire quotidiennement 500 à 600 millions de DM à ceux qui travaillent pour les reverser à ceux qui détiennent le capital. COMPARAISON DES TAUX D'INTéRêTS, DE CHôMAGE ET DU NOMBRE DES FAILLITES Plus les réserves monétaires sont faibles, plus les taux d'intérêt augmentent, ce qui entraîne une élévation du nombre des chômeurs et des faillites. FAILLITES (EN MILLIERS) Pourquoi le chômage augmente-t-il lorsque les taux d'intérêt sont élevés ? Pourquoi ces différents facteurs sont-ils interdépendants ? Comment peut-on remédier à cette situation ? Figure n°12 82 Même si la plupart des gouvernements s'efforcent de compenser ce déséquilibre par le biais de l'impôt, il n'en reste pas moins que la situation demeure complètement déséquilibrée. En outre, les coûts sans cesse croissants d'une bureaucratie omniprésente affectent tout le monde en raison de l'augmentation des impôts. Le coût humain en termes de temps et d'énergie, auquel II faut ajouter l'humiliation engendrée par les tracasseries administratives, est rarement, pour ne pas dire jamais, pris en compte. L'absurdité d'un système monétaire qui, dans un premier temps, dépossède les gens de leur juste part du gâteau de « l'économie libérale », pour ensuite - par le biais des procédures les plus inefficaces que l'on puisse imaginer - redistribuer une partie de cet argent sous la forme d'allocations sociales à ces mêmes personnes, a rarement été dénoncée par les « experts », pas plus qu'elle n'a fait l'objet d'un débat public. Aussi longtemps que ces 80 % de gens qui payent ne comprendront pas comment ils payent, pourrait-il en être autrement ? Une comparaison entre la hausse des taux d'Intérêt, l'augmentation du nombre des faillites dans le commerce et l'industrie et celle du taux de chômage, qui suit avec un décalage d'environ deux ans (Figure 12), fournit un autre argument convaincant en faveur de l'adoption d'un système monétaire sans intérêts. En outre, les coûts sociaux comme l'alcoolisme, l'éclatement des familles et l'augmentation des comportements criminels constituent des charges supplémentaires qui ne sont pas prises en compte dans les statistiques ci-dessus, mais qui pourraient être nettement réduites par la réforme monétaire. En examinant le dilemme des pays du Tiers Monde (Figure 13), nous y découvrons notre propre situation à 83 travers une loupe grossissante. Nous avons là, en raison des mêmes dysfonctionnements structurels du système monétaire, comme une caricature de ce qui se produit dans les pays industrialisés. Quoi qu'il en soit, la différence entre les deux types de pays est que ces derniers, dans leur ensemble, tirent profit de ce système tandis que les premiers contribuent à le financer. Chaque jour, nous recevons des pays du Tiers Monde 300 millions de dollars en versements d'intérêts - c'est-à-dire deux fois le montant de « l'aide au développement » que nous leur accordons. 84 L'AIDE AU DéVELOPPEMENT Chaque jour le Tiers Monde paye 300 millions de dollars d'intérêts au monde industrialisé * Notre aide au développement ne s'élève qu'à la moitié de cette somme ! * Combien de temps encore cette situation pourra-t-elle durer ? * Comment mettre un terme à cette exploitation ? Figure n°13 85 Sur la dette totale des pays du Tiers Monde - mille milliards de dollars - en 1986, environ un tiers de cette somme a été prêtée pour rembourser les intérêts de prêts antérieurs. Ces pays ne seront jamais en mesure de se sortir de cette situation, si ce n'est à travers une crise majeure ou un changement fondamental de politique. Si la guerre entraîne la famine, le dénuement et la mort, la misère sociale et humaine, alors nous sommes bel et bien en pleine « Troisième guerre mondiale » (Figure 14), même si elle n'a pas été déclarée. C'est une guerre où des taux d'intérêt usuraires, des prix artificiels et des pratiques commerciales injustes tiennent lieu d'armes ; une guerre qui condamne les gens au chômage, à la maladie et à la criminalité. Allonsnous indéfiniment tolérer cette situation ? Il ne fait aucun doute que ceux qui sont les exclus système monétaire que nous avons créé représentent plus des trois quarts de la population mondiale. La situation des pays du Tiers Monde changerait immédiatement si leurs dettes étaient partiellement ou totalement effacées par les banques et les pays créanciers. Cette solution, régulièrement préconisée par les économistes progressistes, commence d'ores et déjà à être mise en application. Cependant, à moins que le dysfonctionnement fondamental du système monétaire disparaisse, la prochaine crise est inéluctable. Dans ces conditions, une des démarches les plus importantes à accomplir pour favoriser l'avènement d'un système économique plus stable à l'échelle mondiale est de faire savoir à ceux qui en profiteraient sans nul doute le plus - les pauvres et les pays en voie de développement - qu'un nouveau système pourrait avantageusement remplacer l'ancien. 86 Nous SOMMES D'ORES ET DéJ à EN PLEINE TROISIèME GUERRE MONDIALE ... une guerre économique. Il s'agit d'une guerre non déclarée. C'est une guerre de taux d'intérêt usuraires, de prix exorbitants et de pratiques commerciales malsaines... Des taux d'intérêt et des termes d'échange imposés de l'extérieur ont, sur une planète livrée au pillage, déjà tué des millions de gens, qui meurent victimes de la faim, de la maladie, du chômage et de la criminalité. * Doit-on supporter plus longtemps cette situation ? * Les révolutions constituent-elles des solutions de rechange valables ? * Quelles sont les véritables causes de cette guerre ? Figure n°14 87 LES EGLISES ET LES GROUPES SPIRITUELS Bon nombre des grands dirigeants politiques et spirituels tels que Moïse, Jésus Christ, Mahomet, Luther, Zwingli et Gandhi ont essayé de réduire les Injustices sociales en prohibant le prêt avec intérêts. Ils avaient compris pourquoi l'usure est source de problèmes. Mais ils ne proposèrent pas de solution pratique et le dysfonctionnement fondamental du système resta donc inchangé. La prohibition du prêt à intérêts au sein de la chrétienté par les papes durant le Moyen Âge, par exemple, ne fit que déplacer le problème, car les Juifs devinrent, à cette époque, les grands banquiers de l'Europe. Ils n'étaient pas autorisés à pratiquer l'usure entre eux, mais ils pouvaient accorder des prêts avec intérêts aux Gentils. En terre d'Islam, les gens ne paient pas d'intérêts pour un prêt, mais les banques et les individus prêteurs deviennent actionnaires de leurs affaires et profitent des bénéfices éventuels. Ce système peut être, selon les cas, meilleur ou pire que celui du prêt à intérêts. De nos jours, les Églises chrétiennes et les œuvres de bienfaisance font sans cesse appel à la générosité de leurs fidèles et de leurs adhérents afin d'atténuer les problèmes sociaux gravissimes qui accablent les pays Industrialisés et les pays en voie de développement. Ce ne sera qu'un traitement symptomatique tant que le dysfonctionnement généralisé de notre système monétaire perdurera. Ce dont nous avons besoin, c'est en réalité de propager l'information et de débattre librement des effets du système monétaire actuel et de la solution que peut constituer une réforme monétaire. 88 En Amérique Latine, par exemple, l'Église catholique est divisée entre une hiérarchie conservatrice attirée par le modèle de la société capitaliste occidentale et des prêtres progressistes qui louchent vers le modèle communiste. Nous avons aujourd'hui l'occasion historique de proposer une économie libérée des intérêts, ce qui représente un troisième type de solution que ni le communisme, ni le capitalisme, n'est en mesure d'offrir - une solution qui transcende ces deux systèmes. Cette solution permettrait d'aller plus loin dans le sens de la justice sociale que n'importe quel programme d'aide. Elle instaurerait une économie stable et apporterait une aide précieuse aux Églises dans leurs efforts pour répandre la paix sur cette terre. Au plan spirituel, tout ce que nous observons dans ie monde extérieur est un reflet de notre Moi intérieur, de nos systèmes de croyance, de nos espoirs et de nos pensées. Dans ces conditions, une transforrnation du monde extérieur exige une transformation du monde intérieur. L'une ne va pas sans l'autre. La diffusion de la connaissance ésotérique un peu partout dans le monde indique un profond changement de conscience chez un nombre sans cesse croissant d'individus. Leur travail intérieur est la base des changements extérieurs. Sans lui, une transformation pacifique du système monétaire actuel serait probablement impossible. Dans ces conditions, une grande responsabilité incombe à ceux qui poursuivent des buts humanitaires et qui ont pris conscience du véritable atout que constitue la réforme monétaire en tant qu'élément essentiel d'une transformation globale. 89 LE COMMERCE ET L'INDUSTRIE Dans une économie sans inflation ni intérêts, les prix des biens et des services seraient déterminés, tout comme dans les sociétés capitalistes actuelles, par l'offre et la demande. Mais ce qui changerait, c'est la dénaturation du « marché libre » par le mécanisme des taux d'intérêt. En moyenne, chaque poste de travail de l'industrie allemande doit supporter le fardeau d'une dette d'à peu près 80 000 DM (250 000 F environ). Les seuls intérêts de cette dette s'élèvent jusqu'à 23 % des coûts salariaux24 (cf. Figure 15). Au poids des Intérêts sur les capitaux empruntés il faut ajouter la charge des intérêts sur les propres capitaux de l'entreprise, qui sont soumis aux mêmes taux que les capitaux empruntés. C'est la raison pour laquelle les dettes s'accroissent deux à trois fois plus vite que le niveau général de productivité d'un pays (cf. Figure 5). Ce décalage pèse de plus en plus sur les travailleurs et les créateurs d'entreprise. A l'heure actuelle, nous assistons à une concentration sans cesse croissante dans tous les secteurs de l'Industrie. De petites entreprises, Industrielles ou non, sont rachetées par des entreprises de plus en plus Importantes, jusqu'à ce qu'un jour presque tous les acteurs de la prétendue « économie libérale » soient contraints de travailler pour une société multinationale. Cette évolution a pris de l'ampleur en raison de ce que l'on appelle les « économies d'échelle » et de l'automatisation des procédés de fabrication dans les grandes entreprises industrielles, mais aussi à cause des superprofits réalisés par ces entreprises sur le marché monétaire. Ainsi, 24 Weltwirtschaftswoche, N°4, 1984, p.23 90 par exemple, Siemens et Daimler-Benz en Allemagne gagnent plus d'argent grâce à leurs investissements sur le marché du capital que dans le secteur productif. La presse allemande a d'ailleurs qualifié ces entreprises de « grandes banques dotées d'un secteur productif de façade ». Par contraste, les petites et moyennes entreprises doivent généralement emprunter de l'argent pour être en mesure de se développer et sont de ce fait prisonnières du système des intérêts simples et composés. Elles ne peuvent profiter des économies d'échelle ni tirer des revenus de leurs capitaux. Jusqu'à maintenant, notre économie reposait sur le capital. Hans-Martin Schleyer, président du patronat allemand, a fait un jour une réflexion tout à fait pertinente : « Il faut se mettre au service du capital ». Mais dans le nouveau système monétaire, le capital aura pour fonction de pourvoir aux besoins de l'économie. Il devra se rendre disponible sous peine d'être taxé : en bref, c'est lui qui devra se mettre à notre service ! 91 LES COûTS SALARIAUX SONT PLUS ELEVéS QUE LES SEULS SALAIRES En 1985, chaque fois que 100 DM ont été payés en salaires... ... les entreprises industrielles ont dû ajouter 23 DM d'intérêts. D'où proviennent ces coûts supplémentaires ? Quelles en sont les conséquences ? Peut-on changer la répartition des coûts ? Figure n°15 92 LES AGRICULTEURS En raison des effets dévastateurs des intérêts dans ce secteur, l'agriculture constitue un bon argument en faveur d'un nouveau système monétaire. En effet, l'agriculture peut être définie comme une industrie reposant sur l'écologie. En règle générale, les processus écologiques suivent une courbe de croissance naturelle. Les processus industriels, eux, doivent obéir à la courbe de croissance exponentielle des intérêts simples et composés. Étant donné qu'on ne peut contraindre la nature à se développer de la même façon que le capital, l'industrialisation de l'agriculture a engendré des problèmes qui menacent notre survie. Aux premiers temps de l'industrialisation, les paysans achetèrent des machines plus puissantes et plus efficaces. Puis, les gros paysans rachetèrent des- petites fermes pour s'agrandir encore plus, aidés en cela par les subventions gouvernementales et les incitations fiscales. C'est alors que les premiers symptômes de maladie commencèrent à apparaître et à se multiplier : l'épuisement et la pollution des sources d'approvisionnement en eau, la transformation des sols fertiles en déserts desséchés et encroûtés, la disparition d'au moins 50 % des espèces animales et végétales, la surproduction de certains produits agricoles qui ne peuvent être vendus qu'avec des subventions gouvernementales toujours plus importantes, la création de produits hybrides fades et toxiques, la dépendance totale vis-à-vis des produits pétroliers pour le transport, les engrais chimiques, les insecticides et les pesticides, la destruction de la forêt tropicale dans le but de fournir les matériaux de conditionnement nécessaires au transport des marchandises à longue distance entre les lieux de production, de stockage, de traitement, de vente et de consommation. 93 HOURRA ! ENCORE 2,5% DE CROISSANCE De nos jours, 2,5 % de croissance équivalent à 9 % de croissance dans les années 50. D'où vient cette pression insensée en faveur de la croissance ? Comment pourrions-nous nous libérer de cette pression ? Pour quelles raisons une économie stable est-elle impossible dans le système actuel ? Figure n°16 94 Même si les intérêts ne représentent qu'un des facteurs contribuant à cette évolution désastreuse, l'adoption d'un système monétaire sans intérêts constituerait un élément particulièrement important en faveur de ce secteur économique qui assure notre survie. Les prêts sans intérêt, associés à une réforme foncière et fiscale (cf. Chapitre 2), pourraient permettre à un plus grand nombre de personnes qu'il n'est envisageable actuellement de retourner à la terre. Avec les nouvelles méthodes de l'agriculture intégrée (celle qui gère adroitement les ressources naturelles), nous pourrions assister à l'avènement d'un mode de vie différent, associant ville et campagne, travail et loisirs, activité manuelle et activité intellectuelle, technologies de pointe et technologies de base, le tout au service d'une approche plus holistique du développement individuel, agricole et social. LES ECOLOGISTES ET LES ARTISTES Lorsqu'on évoque la croissance économique - mesurée par l'accroissement en pourcentage du PNB et comparée aux taux de croissance des années précédentes -, on oublie d'ordinaire que cet accroissement concerne chaque année une somme plus importante. Ainsi, 2,5 % de croissance aujourd'hui correspondent en réalité à quatre fois 2,5 % de croissance durant les années cinquante (Figure 16). La raison pour laquelle les hommes politiques, les industriels et les responsables syndicaux continuent à préconiser de relancer la croissance économique est facile à comprendre : au cours des phases de diminution des taux de croissance, l'écart entre revenu du capital et revenu du 95 travail (ou transfert des richesses du travail vers le capital) se creuse. Il en résulte des problèmes sociaux et écologiques accrus ainsi que des tensions économiques et politiques plus aiguës. La croissance économique continue, toutefois, aboutit à l'épuisement des ressources naturelles. Cela signifie, dans le système monétaire actuel, que nous n'avons plus, devant nous, que les deux termes de cette alternative : soit un effondrement économique, soit un désastre écologique à l'échelle planétaire. En outre, la concentration de l'argent entre les mains d'un nombre décroissant d'individus et de trusts multinationaux crée une demande pressante et constante d'investissements lourds (centrales nucléaires, immenses barrages pour les centrales hydroélectriques, industrie de l'armement, etc.). D'un point de vue purement économique, le comportement des Etats-Unis et de l'Europe a été pendant des années politiquement pétri de contradictions : d'un côté, ils déployaient des armes toujours plus efficaces et puissantes contre la Russie, et de l'autre, ils lui livraient du beurre, du blé et des savoir-faire technologiques. Mais commercialement, cette attitude était parfaitement logique. La production d'armements est le seul secteur où le point de « saturation » puisse être repoussé indéfiniment, aussi longtemps que « l'ennemi » est lui aussi capable de mettre au point des armes de plus en plus rapides et efficaces. Les profits du complexe militaro-industriel sont beaucoup plus élevés que ceux de n'importe quel secteur civil de l'économie. Tant qu'un investissement devra rivaliser avec le pouvoir lucratif de l'argent sur le marché monétaire, la plupart des investissements écologiques, dont le but est d'instaurer une économie rationalisée (c'est-à-dire de stopper la croissance 96 quantitative à son niveau optimal), seront difficile à réaliser sur une plus grande échelle. Aujourd'hui, les gens qui doivent emprunter de l'argent pour des investissements écologiques perdent au niveau économique. Si l'on abolissait les intérêts, ils pourraient au moins équilibrer leurs comptes ; cependant, la différence avec d'autres types d'investissements (industrie de l'armement, par exemple) resterait la même. Prenons comme exemple un investissement dans le domaine des capteurs solaires destinés à la production d'eau chaude. Si on ne peut s'attendre qu'à un rendement de 2 % sur l'argent prêté, il serait économiquement imprudent d'investir dans cette technologie, par ailleurs rationnelle et écologique, étant donné que si nous mettions notre argent en banque, il nous rapporterait 7 % d'intérêts environ. Si le système monétaire changeait, les gens qui investissent pour préserver et améliorer l'environnement auraient au moins des chances de rentrer dans leurs fonds. Les individus et des groupes seraient alors très motivés pour s'engager dans la protection de la nature et privilégier des technologies non polluantes. Le volume de l'activité économique lui-même s'ajusterait plus facilement aux besoins réels des populations. Puisqu'un rendement élevé du capital ne serait plus nécessaire pour fournir les intérêts, l'incitation à la surproduction et à la surconsommation diminuerait considérablement. Les prix diminueraient de 30 à 50 %, pourcentage qui sert actuellement à financer une technologie à fort coefficient de capitaux. En théorie, pour conserver le même niveau de vie, les pourraient se contenter de travailler à mi-temps. Au sein du nouveau système monétaire, la croissance quantitative aurait toutes les chances de se transformer en 97 croissance qualitative. Les gens auraient le choix de laisser leur argent sur un compte d'épargne (en nouvelle monnaie) où il conserverait sa valeur, ou bien de l'investir en achats de porcelaine, de meubles, d'oeuvres d'art ou d'une belle maison - lesquels conserveraient également leur valeur. Ils auraient probablement tendance à choisir des investissements embellissant leur vie quotidienne. Quoi qu'il en soit, plus la qualité exigée serait élevée, plus la production serait importante. De cette manière, on peut s'attendre à une révolution des valeurs, ce qui aurait sans nul doute des conséquences positives aux plans culturel et écologique. Bon nombre d'investissements dans l'art et les technologies écologiques seraient capables, dans le cadre d'une monnaie « stable » et d'un mode de vie en accord avec la nature, de supporter la concurrence et de produire des bénéfices, même si ce n'étaient pas de gros profits. L'art et l'écologie deviendraient ainsi rapidement « économiquement viables ». LES FEMMES Pourquoi les femmes sont-elles si peu présentes dans le monde de l'argent ? Qu'il s'agisse de la Bourse ou de la banque, nous sommes toujours en présence d'un univers d'hommes et les exceptions ne font que confirmer la règle. Je me suis rendu compte, grâce à ma longue expérience des problèmes et des projets féminins, que la plupart des femmes ressentent intuitivement que quelque chose ne va pas dans ce système monétaire, bien que, comme les hommes, elles ne puissent préciser la nature de ce dysfonctionnement. Le combat acharné des femmes pour l'égalité (qui est également, dans une large mesure, un problème écono- 98 mique) a suscité en elles un profond ressentiment envers tout ce qui engendre l'injustice, par exemple les pratiques des milieux financiers. La plupart des femmes savent d'expérience que pour qu'un individu puisse gagner de l'argent sans travailler - par exemple grâce aux intérêts simples et composés - une autre personne doit fournir un travail. Cette personne, très souvent, sera une femme. Les femmes constituent la majorité de cette moitié de la population qui ne détient que 4 % de la richesse totale (Figure 11). Dans le monde entier, les femmes - et les enfants - supportent en grande partie le fardeau du chaos économique et de la misère sociale provoqués par le système monétaire actuel. L'introduction d'un nouveau système monétaire qui jouerait le rôle d'un « système de troc amélioré » changerait de manière spectaculaire leurs conditions de vie. Pour cette raison, je pense que l'on comptera beaucoup de femmes parmi ceux qui préconiseront un moyen d'échange plus équitable. Elles savent d'expérience ce qu'est l'exploitation. Lorsque le nouveau système s'instaurera, il y a de fortes chances pour qu'elles s'impliquent beaucoup plus dans les questions d'investissements et les affaires bancaires, ceci parce qu'elles comprendraient qu'il s'agit de faire fonctionner un système favorable à la vie et non pas, comme aujourd'hui, un système destructeur. En outre, last but not least, ce système monétaire s'accorde beaucoup mieux avec leur conception du pouvoir. Les hommes sont habitués à un système hiérarchique, avec un sommet tout puissant et une base désarmée. Celui qui prend une part du gâteau en prive un peu plus les autres. C'est un jeu où on est obligé soit de gagner, soit de perdre. Les femmes ressentent généralement le pouvoir comme un 99 concept extensible à l'infini. Chaque fois que quelqu'un donne son pouvoir à un groupe, c'est l'ensemble du groupe qui devient plus puissant. Dans une telle situation, tout le monde est gagnant. Un système monétaire qui se développe pour répondre à des besoins grandissants mais s'arrête lorsque ces besoins ont été satisfaits crée presque automatiquement, à long terme, une situation ne présentant que des avantages pour tout le monde. Ceci est également vrai pour le court terme, dans une situation de crise telle que celle que nous vivons actuellement. Ce que les femmes désireront le plus pour elles-mêmes et leurs enfants est que, au lieu d'une énième révolution dure comme celles qui ont engendré tant de souffrances et de misères dans le passé, le changement, cette fois-ci - s'il peut survenir avant le krach - se fasse selon un processus évolutif plus doux. 100 CHAPITRE QUATRE Quelques leçons tirées de Vhistoire 101 Le système monétaire dont nous avons hérité a plus de 2000 ans d'âge. Argent, en allemand, se dit Geld, ce qui fait précisément référence à l'or, matière des premières monnaies. L'or, métal plutôt inutile en dehors de la bijouterie et des ornements, est devenu le moyen d'échange favori aux environs de 700 avant Jésus Christ dans l'Empire Romain. La monnaie a toujours impliqué la frappe. C'était l'idée figurant dans la constitution américaine. Les pièces d'or et d'argent (ou leur contre-valeur « papier ») étaient les seules monnaies à avoir cours légal aux Etats-Unis jusqu'en 1934. De nos jours encore, bon nombre de gens - en particulier ceux qui ont compris les désavantages inhérents à la possibilité de créer du papier-monnaie de façon pratiquement illimitée - sont en faveur d'un retour au régime de l'étalon-or. A sa publication en 1904, les trois quarts du livre de Silvio Gesell avaient trait à ce problème25 . Contre tous les économistes de son temps à la réputation bien établie, il s'efforça de prouver, au plan théorique et avec des exemples pratiques, que non seulement l'étalon-or était inutile mais qu'il était aussi préjudiciable à un système monétaire efficace fondé sur une monnaie sans Intérêts. Aujourd'hui, nous savons que l'étalon-or n'est pas une référence indispensable. Il n'existe pas, actuellement dans le monde, de système monétaire basé sur ce principe. John 25 Gesell, op. cit. 103 Maynard Keynes, qui connaissait bien les travaux de Silvio Gesell, a contribué à supprimer cette entrave à l'efficacité de l'économie dans les années trente. Toutefois, ce qu'il a oublié, c'est de défendre l'autre ingrédient essentiel à l'efficacité : le remplacement des intérêts par une taxe sur la circulation monétaire. C'est en grande partie pour cette raison que nous avons tant de problèmes aujourd'hui et que nous en aurons à Intervalles réguliers jusqu'à ce que nous ayons compris la leçon. Afin de montrer combien 11 est difficile de comprendre en profondeur les problèmes monétaires, j'aimerais citer quelques exemples historiques pour éclaircir ce point. LE SYSTèME MONéTAIRE « BRAKTEATEN » DANS L'EUROPE MéDIéVALE Entre le Xlle et le XVe siècle en Europe, il y eut un système monétaire appelé « Brakteaten ». Frappée par différentes villes, ainsi que par différents évêques et souverains, cette monnaie ne facilitait pas seulement l'échange des biens et services, mais permettait également de percevoir l'impôt. Chaque année, les fines pièces d'or et d'argent étaient « rappelées » et frappées à nouveau à deux ou trois reprises, perdant de ce fait 25 % de leur valeur. Étant donné que personne ne voulait garder cette monnaie, les gens investissaient en achetant des meubles, de belles maisons, des œuvres d'art ou tout autre objet ayant des chances de conserver ou d'accroître sa valeur. C'est à cette époque que furent produites certaines des plus belles œuvres 104 de l'art et de l'architecture sacrés et profanes. « Car lorsque la richesse monétaire ne peut s'accumuler, c'est la vraie richesse qui voit le jour. »2S On estime que cette époque constitua l'un des sommets de l'histoire culturelle européenne. Les artisans travaillaient cinq jours par semaine, les apprentis bénéficiaient du « saintlundi » (lundi chômé) et le niveau de vie était élevé. En outre, il y avait très peu de conflits et de guerres entre les différents pouvoirs. Cependant, les gens n'aimaient pas cette monnaie dont la valeur s'effondrait à intervalles réguliers et, pour finir, vers la fin du XVe siècle, le penny « étemel » fut introduit ; avec lui apparurent les intérêts et la concentration de la richesse entre des mains toujours moins nombreuses, en même temps que les problèmes économiques et sociaux qui en découlent. La leçon à tirer de tout ceci est que les impôts doivent être prélevés distinctement des frais de circulation de l'argent et ne pas leur être associés. L A RéPUBLIQU E D E WEIMA R ET L' ETALON-OR Durant la république de Weimar (1924-1933), le président de la Banque Centrale allemande, Hjalmat Schacht, voulut créer une monnaie « honnête », ce qui, dans son esprit, signifiait un retour à l'étalon-or. Comme il ne pouvait acheter assez d'or sur le marché mondial pour équilibrer la quantité d'argent en circulation, il se mit à 26 Hans R.L. Cohrssen, "Fragile Money" in the New Outlook, Septembre, 1933, p.40 105 diminuer celle-ci. Le manque de liquidités provoqua une hausse des taux d'intérêt, réduisant par là même les incitations à investir et les possibilités d'investissements, ce qui mena les entreprises à la faillite et augmenta le chômage. Ces différents facteurs préparèrent le terrain pour le radicalisme et contribuèrent, en fin de compte, à l'arrivée au pouvoir d'Hitler. La Figure 17 montre le rapport de cause à effet entre l'augmentation de la pauvreté et la montée des exîrémismes dans la république de Weimar. Ce processus avait été prévu par Silvio Gesell, bien que pour des raisons différentes. Dès 1918, peu après la première guerre mondiale, alors que tout le monde parlait de paix et que de nombreuses organisations internationales se créaient pour préserver cette paix, Gesell publia l'avertissement suivant dans une lettre au rédacteur en chef du journal berlinois Zeitung am Mittag : « En dépit de la promesse sacrée des peuples de bannir la guerre une fois pour toutes, en dépit du cri de ces millions de gens : 'Plus jamais la guerre !', en dépit des espoirs d'un avenir meilleur, il me faut affirmer ceci : si le système monétaire actuel, fondé sur les intérêts simples et les intérêts composés, reste en vigueur, j'ose affirmer aujourd'hui qu'il ne se passera pas plus de vingt-cinq ans avant que nous ne subissions une nouvelle guerre, bien plus terrible encore. Je peux prédire précisément les événements qui nous attendent. Le niveau actuel de développement technologique débouchera rapidement sur des performances industrielles exceptionnelles. L'accroissement du capital sera rapide malgré les énormes pertes causées par la guerre et cette surabondance fera baisser les taux d'intérêt. L'argent sera alors thésaurisé. L'activité économique ralentira et un 106 LE CHôMAGE APPAUVRIT, LA PAUVRETé ENGENDRE LA RADICALISATION Figure n°17 107 Sommes-nous menacés par un nouveau radicalisme ? Qu'est-ce qui engendre la « nouvelle pauvreté » ? Pouvons-nous éviter cette évolution ? nombre croissant de personnes sans travail seront jetées à la rue... Au sein des masses mécontentes naîtront des idées sauvages et révolutionnaires, et nous assisterons de nouveau à la prolifération de cette plante vénéneuse, l'ultranationalisme. L'incompréhension sera générale entre les pays, ce qui ne pourra déboucher que sur une nouvelle guerre. »27 D'un point de vue historique, après les faits, on s'aperçoit que la monnaie, volontairement émise en quantité limitée par la Banque Centrale, fut thésaurisée par les personnes privées. Les effets s'avérèrent désastreux. Pourtant, les responsables des banques centrales semblent toujours ignorer la seule thérapeutique capable de venir à bout des problèmes auxquels ils sont confrontés chaque jour. 27 Zeitung am Mittag, Berlin, 1918 108 CHAPITRE CINQ a reforme monétaire dans le contexte d'une transformation mondiale, ou comment procéder aux changements 109 Le fait que ce livre se focalise sur la question de la réforme monétaire en tant qu'élément important de la transformation mondiale et totale dont nous serons très bientôt les témoins ne signifie pas que cet élément soit plus important que les autres. De la transformation structurelle à la transformation individuelle, de l'évolution technologique à l'évolution spirituelle, nous avons besoin de changements. Le mode de fonctionnement de l'argent et ses conséquences sur la société ont été notoirement négligés, bien qu'ils semblent constituer une pièce maîtresse du puzzle. Ni les experts ni ceux qui recherchent des alternatives au système économique actuel ne semblent s'intéresser particulièrement à cette question. Elle est peut- être plus importante que d'autres, mais en tout cas elle ne l'est pas moins. La vérité, c'est qu'elle affecte la vie de tout un chacun. REMPLACER LA RéVOLUTION PAR L'EVOLUTION Comme les trois réformes - monétaire, foncière et fiscale - proposées dans ce livre constituent seulement une petite partie des changements globaux nécessaires à notre survie sur cette planète, elles peuvent s'adapter 111 aisément aux efforts entrepris pour créer une relation nouvelle entre les êtres humains et la nature - ainsi qu'entre eux. La justice sociale, l'environnement et la liberté sont menacés lorsque nous tolérons la prolifération de structures sociales qui ont tendance, intrinsèquement, à s'opposer à ces aspirations. A l'évidence, les réformes proposées allient les avantages du capitalisme à ceux du communisme. Elles évitent leurs défauts respectifs et offrent un « troisième type de solution ». Elles permettraient l'épanouissement personnel et la liberté individuelle au sein d'une économie libérale, ainsi qu'un niveau de justice sociale bien supérieur. En même temps, elles mettraient un terme à l'exploitation d'une large majorité de gens par une petite minorité - sans pour cela qu'il faille instaurer les lourdes réglementations et la bureaucratie toute puissante propres aux économies planifiées. Les tentatives faites par le communisme pour libérer l'homme de l'exploitation ont échoué parce que, dans le but d'assurer un minimum vital à tous, il a supprimé la liberté individuelle. La tendance capitaliste, d'un autre côté, en permettant que la terre et le capital soient exploités dans un contexte de liberté personnelle quasi illimitée, a mis en danger le minimum vital du plus grand nombre. Les deux systèmes sont allés trop loin dans leurs voies respectives. L'un a placé la liberté de manger à sa faim audessus de la liberté de choisir son mode de vie. L'autre a placé au premier plan de ses priorités la liberté individuelle qui, dans le système monétaire actuel, n'est accessible qu'à une toute petite minorité. Les deux systèmes ont partiellement raison, mais ils ont tous deux échoué dans leurs tentatives pour créer les 112 conditions indispensables à une existence véritablement humaine, dans une liberté authentique. Les réformes proposées ici pourraient réduire les interventions gouvernementales et créer une économie écologique dans laquelle les biens et services seraient produits à une taille et à un niveau de complexité optimum, aussi bien pour ce qui est de la quantité que de la complexité, car c'est ainsi qu'ils seraient les moins chers, donc les plus compétitifs dans le cadre d'un système libéral. Alors que l'importance du transfert des richesses par le biais des systèmes monétaire et foncier est moins visible dans les pays très industrialisés en raison de l'exploitation des pays en voie de développement, les travailleurs de ces derniers paient réellement le prix des systèmes monétaires du monde industrialisé. Bien que ce soit eux qui en souffrent le plus, il y a peu d'espoir que ces idées soient appliquées en premier dans le Tiers Monde, où une petite élite exerce sa domination en termes de pouvoir financier, foncier et politique. Mais il existe une possibilité de changement dans les petites nations démocratiques d'Europe. La Scandinavie, par exemple, avec une majorité de citoyens aisés et instruits, pourrait s'avérer assez ouverte au changement social, lequel est précisément l'objectif essentiel de la réforme monétaire. A l'audience publique de la Commission mondiale de l'ONU à Moscou, le 11 décembre 1986, A. S. Timoshenko, de l'Institut de l'État et de la Loi, de l'Académie des sciences de l'URSS, a fait la proposition suivante : « Aujourd'hui il est impossible d'assurer la sécurité d'un État aux dépens d'un autre. La sécurité ne peut être qu'universelle, mais elle ne peut se contenter d'être seulement politique ou militaire. Elle doit être également 113 ASSURER LA CIRCULATION MONéTAIRE barème des intérêts barème de la taxe sur l'argent immobilisé COûT ANNUEL MOYEN DU CRéDIT dans le système monétaire avec intérêts (1991) a. commissions bancaires 1,7 % b. primes de risque 0,8 % c. liquidités 3,0 % d. indexation sur le taux d'inflation 4,0 % Total 9.5% dans le système monétaire sans intérêts (1991) a. b. c. d. commissions bancaires primes de risque liquidités indexation sur le taux d'inflation Total Figure n°18 1,7% 0,8% 0,0% 0,0% 2,5 % 114 écologique, économique et sociale. Elle doit assurer la satisfaction des aspirations de l'humanité dans son ensemble. »2S Le combat de l'humanité pour la justice sociale et économique a été long et acharné. Il a engendré des divisions tranchées dans les orientations politiques et les croyances religieuses. Il a entraîné la perte de nombreuses vies humaines. Il est véritablement urgent que nous comprenions ceci : personne ne peut obtenir sa propre sécurité aux dépens d'un autre ou aux dépens de l'environnement dont il dépend. Pour trouver cette sécurité, il faut changer en profondeur les structures sociales. Espérons que les changements proposés dans ce livre favoriseront l'avènement de la sécurité et de la justice pour les hommes et du respect de l'environnement, substituant pour finir l'évolution à la révolution. UNE SOLUTION ENVISAGEABLE POUR LE PROCHE AVENIR Avant que le système monétaire ne puisse être réformé, une grande partie de la population devra comprendre la nécessité de circonscrire l'argent à son rôle de moyen d'échange, d'échelle des prix et de critère constant de valeur. Si cette prise de conscience se transformait en action politique, la Banque Centrale, qui est contrôlée par le gouvernement, choisirait, pour assurer la circulation monétaire, le système d'une taxe sur l'argent Immobilisé plutôt que le système des taux d'intérêt. 28 A.S. Timoshenko, cité par La Commission mondiale de l'ONU sur l'environnement et le développement, op. cit., p.294 115 LA TAXE SUR L'ARGENT IMMOBILISé CRéE UN SYSTèME MONéTAIRE NEUTRE En tant que méthode capable d'assurer la circulation monétaire, la taxe sur l'argent immobilisé rendrait possibles toutes les transactions nécessaires. S'il y a assez d'argent pour accomplir toutes ces dernières, il n'est pas nécessaire d'en mettre davantage en circulation. Dans ces conditions, l'accroissement de la quantité de monnaie disponible est parallèle à la croissance de l'économie et suit, tout comme cette dernière, la courbe de croissance naturelle (Figure 1). Si une personne détient plus de liquidités qu'elle n'en a besoin, elle paie une taxe sur les sommes déposées en banque. Selon la durée de dépôt de ces sommes, la taxe sur l'argent immobilisé sera diminuée ou annulée. La Figure 18 montre comment, aujourd'hui, le barème des intérêts serait remplacé par un barème de taxes sur l'argent immobilisé. Les dépôts à long terme ne seraient pas taxés, tandis que l'argent liquide, lui, le serait au maximum. La thésaurisation de l'argent dans le nouveau système pourrait être évitée beaucoup plus facilement qu'en collant un timbre au dos des billets de banque, comme c'était le cas dans l'expérience de Worgl. Plusieurs suggestions ont été proposées, entre autres un système de loterie qui permettrait d'assurer la circulation monétaire en retirant telle ou telle coupure, à l'instar d'un tirage de la loterie. Basé sur les huit coupures actuelles (dans le cas du DM, les coupures de 5/10/50/100/200/500/1000), on peut imaginer un système dans lequel huit boules de couleurs représentant les différentes coupures seraient mélangées avec des boules blanches non convertibles de façon à, par un calcul statistique, faire en sorte qu'il y ait une ou deux 116 conversions par an. Les tirages pourraient avoir Heu, par exemple, tous les premiers samedis du mois. A partir du moment où une coupure serait tirée, la période de convertibilité s'étendrait jusqu'à la fin du mois. Jusque-là, les billets tirés auraient toujours cours légal et pourraient être utilisés comme moyen de paiement dans tous les commerces. Cependant, la taxe d'immobilisation devrait être déduite des paiements effectués avec ces billets. Une autre option consisterait à échanger les billets périmés en réglant, à la banque ou à la poste, une taxe sur les opérations de change. Comme personne n'aime s'acquitter d'une redevance, tout le monde limiterait l'utilisation d'espèces aux sommes nécessaires et l'argent en excédent serait déposé sur des comptes bancaires. On pourrait faciliter l'échange en donnant une taille et une couleur différentes aux nouvelles coupures. Les nouveaux billets de 100 DM, de couleur jaune, remplaceraient les vieilles coupures bleues au fur et à mesure qu'elles seraient retirées de la circulation. De même, on éviterait la dissimulation des billets périmés en allongeant ou en élargissant légèrement les nouveaux billets afin que tout billet périmé se distingue des autres dans une liasse, aussi grosse soit-elle. A l'inverse des autocollants, ou timbres monétaires, le tirage des coupures a l'avantage de rendre inutile la frappe d'une nouvelle monnaie. La monnaie actuelle serait conservée et le coût du système ne serait guère plus élevé que le remplacement des billets usagés aujourd'hui. Dans ce système monétaire neutre, les banques auraient comme tout le monde l'obligation de distribuer l'argent à ceux qui en ont besoin. Dans le cas où elles auraient dans leurs comptes des dépôts sans intérêts, et qu'elles ne 117 prêteraient pas cet argent ou ne le transféreraient pas dans une banque centrale ou régionale, elles devraient elles aussi s'acquitter d'une taxe sur l'argent immobilisé. Les gens qui bénéficieraient d'un crédit ne paieraient pas d'intérêts, mais uniquement des frais bancaires et des primes de risque, comparables à ceux qui sont inclus dans tout prêt bancaire. En 1991, ceux-ci équivalaient en Allemagne à environ 2,5 % du coût moyen du crédit (voir Figure 18), en Suisse, à 1,5 % environ, tandis que dans les pays en voie d'industrialisation, le pourcentage est parfois deux ou trois fois plus élevé. 118 CHAPITRE SI X Comment apporter sa contribution à la période JL de transition ? 119 Le plus gros obstacle à la transformation du système monétaire est le suivant : rares sont les gens qui comprennent le problème et encore plus rares ceux qui savent qu'il existe une solution. Cependant, depuis octobre 1987, lorsque 1500 millions de dollars se sont évanouis à Wall Street, les gens sont devenus plus attentifs lorsqu'on évoque ces questions. Bien connaître le fonctionnement des intérêts simples et composés constitue le premier pas vers le changement. Etre capable de discuter de la solution et de ses diverses implications constitue l'étape suivante. S'INFORMER, FAIRE PRENDRE CONSCIENCE AUX AUTRES Commencez par tester avec vos amis et avec les membres de votre famille votre capacité à expliquer le problème. Puis passez à des personnes que vous connaissez moins bien et, pour finir, n'hésitez pas à en parler à votre banquier, à votre agent d'assurances, aux hommes politiques et aux journalistes locaux. Bon nombre de discussions avec des professionnels, banquiers et économistes, m'ont convaincue qu'il n'existe pas de difficultés « réelles », en dehors des blocages mentaux dus à l'éducation et aux systèmes de croyances réducteurs concernant la nature de l'argent et la façon dont il devrait fonctionner. 121 Il faut bien garder à l'esprit que l'argent représente, pour la majorité des gens, une préoccupation majeure. Il est donc fortement lié dans leur esprit à la façon dont ils se perçoivent et perçoivent le monde. Générosité ou avarice, ouverture ou fermeture, chaleur ou froideur - la façon dont les gens se comportent dans d'autres domaines de la vie se reflétera dans leur attitude envers lui. Il est généralement difficile de traiter l'argent comme un problème isolé. Quoi qu'il en soit, il vous faudra commencer par expliquer comment les intérêts permettent la concentration de la richesse avant de traiter les symptômes, qui se manifestent notamment dans la sphère politique et sociale. Sinon, tous vos efforts d'explication risquent de s'avérer vains. Expliquez bien que la réforme monétaire est liée à de multiples autres problèmes et qu'elle ne va pas les résoudre tous automatiquement. Elle ne permettra pas, à elle seule, de subvenir aux besoins des pauvres, des personnes âgées, des malades et d'éliminer d'autres problèmes sociaux, mais elle permettra surtout de venir plus facilement en aide aux catégories sociales défavorisées. Cela ne signifie pas que nous pourrons nous passer de mesures ou de programmes spécifiques pour résoudre d'autres problèmes sociaux. Il en est de même en ce qui concerne l'écologie, la protection de la nature et d'autres domaines encore. Informez-vous de ce qui se passe dans le monde. Ce faisant, vous comprendrez mieux l'urgence de ce changement, la possibilité de le réaliser et la responsabilité qui incombe à tous ceux qui connaissent la solution de la divulguer le plus largement possible. 122 PARRAINER DES EXPéRIENCES PILOTES La condition préalable la plus importante pour instaurer un système monétaire sans intérêts est de réaliser quelques « applications concrètes » qui nous donneront une idée des effets que ce changement pourrait entraîner sur une plus grande échelle. Les régions ou les pays intéressés par cette expérience devraient, si possible, coordonner leurs actions afin de parvenir à une meilleure synthèse des résultats dans différentes conditions sociales, culturelles et économiques. Les régions sélectionnées devraient être assez grandes pour que les conclusions puissent être étendues au pays tout entier et il serait préférable qu'elles bénéficient d'un haut niveau d'autonomie, ce qui signifie que bon nombre des biens et des services nécessaires à l'expérience y soient disponibles. L'autre possibilité consiste à choisir une région en crise - d'ordinaire en raison d'un manque de diversification - et à créer une dynamique favorisant une économie plus diversifiée et stable grâce à l'introduction du nouveau système monétaire. Ce dernier cas est certainement le plus tentant, parce que lorsque la situation est mauvaise, les gens sont plus ouverts au changement, surtout s'ils s'aperçoivent - comme dans le cas de Wörgl (chapitre 2) - qu'ils ont tout à gagner et rien à perdre dans l'expérience. D'un autre côté, une région relativement active, diversifiée et économiquement saine trouverait également des avantages évidents dans l'introduction d'un nouveau système monétaire, et là le changement pourrait réussir bien plus rapidement. 123 Il serait important, pour mieux démontrer la justesse de notre solution, de ne pas limiter l'expérience à l'une ou l'autre de ces situations, afin de se rendre compte des conséquences de l'introduction d'une monnaie sans intérêts dans différents contextes sociaux. METTRE EN PLACE UN SYSTèME LOCAL D'ECHANGES COMMERCIAUX De toutes les tentatives d'échange de biens et services en dehors des systèmes monétaires actuels, celle de Michael Linton à Vancouver Island, au Canada, est la plus facilement adaptable à n'importe quelle localité et, de ce fait, la plus connue dans le monde. Le système LET (Local Exchange Trading : échanges commerciaux locaux), fonctionne assez simplement comme un système de comptes en dollars « verts », non assorti d'une taxe sur l'argent lui-même, mais d'une petite taxe sur chaque transaction. Les gens définissent ensemble le prix en dollars « verts » ou en dollars « normaux » de chaque produit qu'ils achètent ou vendent. Ils transmettent à un service comptable informatisé leurs crédits et leurs débits. La limite des dettes à ne pas dépasser peut être déterminée au début, et modifiée si nécessaire plus tard, afin de minimiser le risque pour tous les participants. Il est évident que plus les gens qui participent à l'expérience sont nombreux, plus le système sera économiquement avantageux. Ainsi, une petite commune près de Vancouver est venue en aide à un jeune dentiste qui n'avait pas les moyens d'ouvrir un cabinet. Elle a fait construire une maison et installer un cabinet, en grande partie grâce aux dollars verts. 124 Le dentiste a ensuite traité ses patients en échange d'un certain pourcentage de dollars verts. Au début, le système LET fonctionne bien, mais dans certaines circonstances ii a connu des problèmes ou même un effondrement29 , en raison de gros excédents ou de gros déficits. Cela est dû en partie au fait qu'en l'absence d'une taxe favorisant la circulation monétaire, les gens n'étaient pas assez incités à recycler leur argent. Quoi qu'il en soit, il est toujours justifié de soutenir des expériences mettant en œuvre des systèmes de circulation monétaire différents du système actuel, car cela permet aux gens de mieux comprendre les fonctions et la raison d'être de l'argent. Des exemples concrets vous en apprendront plus que n'importe quel livre ou article. SOUTENIR LES INVESTISSEMENTS « MORAUX » Chacun d'entre nous peut faire immédiatement un pas en direction du nouveau système en veillant à ce que ses excédents monétaires soient investis d'une façon morale. Du fait que de plus en plus de gens ont pris conscience de ses implications éthiques et sociales, l'investissement moral aux Etats-Unis a pris une telle ampleur qu'il est devenu un mouvement où se brassent des millions de dollars. Selon les mots d'Hazel Henderson, « une armée toujours plus nombreuse de gens ordinaires sont sortis sur le pas de leur porte, ont vu la décomposition de la société et n'ont pu 29 Lettre de Hendric de Ilde de Vancouver Island au Canada, à David Weston, Oxford, Grande-Bretagne, le 20 janvier 1988 125 tolérer plus longtemps que ce qu'ils faisaient avec leur argent puisse gêner leur mode de vie et s'opposer à leurs aspirations. »30 Les « investisseurs moraux » envisagent leurs investissements potentiels en termes économiques et sociaux. Des gens comme Robert Schwartz, un pionnier des investissements à visée sociale, ont commencé par éliminer de leurs listes d'investissements possibles les entreprises qui étaient de gros fournisseurs de l'armée ou celles qui avaient une politique déloyale vis-à-vis de leurs employés, ou encore les grands pollueurs, y compris les centrales nucléaires, qui représentaient un danger pour l'environnement, ainsi que les entreprises qui mettent leurs actifs à la disposition de gouvernements répressifs comme celui d'Afrique du Sud.31 La conscience écologique n'est pas seulement un concept essentiel fondé sur la morale, mais dans bon nombre de cas, elle se justifie aussi par la rentabilité, surtout lorsque la situation est assez grave du fait d'une exploitation impitoyable antérieure des ressources naturelles. L'industrie nucléaire, par exemple, avec ses accidents et ses coûts de dépollution, s'est avérée une mauvaise affaire pour les investisseurs aux Etats-Unis, alors que les sources d'énergie de substitution sont, ces derniers temps, devenues rentables. Le plus gros avantage d'une politique d'investissements « moraux » est qu'elle peut être mise en pratique dès maintenant. Que nous changions de monnaie aujourd'hui ou plus tard, l'investissement « moral » demeure une idée formidable, applicable dans n'importe quel système monétaire. 30 Hazel Henderson, cité dans l'article de Jennifer Fletcher, Ethical Investment, in International Permaculture Journal, Permacuiture International Ltd., Sydney, Australie, 1988, p.38 31 Robert Schwartz, cité dans ibid, p.39 126 CHAPITRE SEPT Les applications concrètes d'aujourd'hui sont les embryons d'une nouvelle économie 127 Il y a deux obstacles majeurs qui empêchent la transformation effective de notre monnaie actuelle assortie d'intérêts en un moyen d'échange utile à tout le monde. En premier lieu, peu de gens semblent comprendre le problème. En second lieu, les expériences réussies sont rarissimes dans le monde par rapport au commerce effectué avec l'argent « normal ». Toutefois, considérées de manière globale, ces expériences ne constituent pas seulement la preuve encourageante que chacun de nous peut avoir une action Immédiate, mais elles nous offrent également une image de ce à quoi ressemblerait une transformation allant « de la base vers le sommet ». Si un nombre suffisant de personnes comprenaient les véritables enjeux de cette question, Il serait possible de changer notre système monétaire sans le soutien de l'État. Les modèles que nous allons aborder diffèrent par leur fonction - épargne et prêt d'un côté, échange de biens et services de l'autre - ainsi que par leur champ d'action, qui va de l'échelon local à l'échelon national. Au niveau local, le système LET canadien propose un moyen d'échange sans Intérêts, destiné aux groupes, aux communes, aux villages et aux banlieues comprenant entre 20 et 5000 membres. Le WIR-Wirtschaftsring suisse (coopérative économique) démontre qu'un système de comptes pratiquement libéré des taux d'intérêt servant à l'échange des biens et 129 services peut apporter des avantages importants aux petites et moyennes entreprises. Le système danois et suédois JAK propose, à l'échelon national, des systèmes d'épargne et de prêts sans intérêts, à des conditions bien meilleures que celles des banques commerciales. L'ensemble de ces expériences pilotes prouvent qu'un système monétaire sans intérêts, remplissant exactement les mêmes fonctions qu'un système monétaire basé sur les intérêts, est tout à fait concevable. Elles montrent également que ceux qui utilisent ce type de systèmes y trouvent des avantages ; si ce n'était pas le cas, ces derniers n'existeraient plus. LE SYSTèME LET Dans chaque ville et chaque région, on trouve des gens dotés de compétences et de ressources que le système économique en place n'utilise pas, bien que la demande existe. Un réseau d'échanges faisant passer des informations par les panneaux d'affichage, les journaux, les banques de données, la radio et les autres moyens de communication donne aux gens la possibilité de partager leurs compétences respectives et enrichit la vie de la communauté dans le vrai sens du terme, en dehors du système monétaire en place. De tous les systèmes d'échange, le modèle LET est le plus largement utilisé. Il en existe des centaines aux EtatsUnis, en Australie, en Europe, en Nouvelle-Zélande et dans bien d'autres pays. Le premier fut lancé par Michael Linton en janvier 1983, à Vancouver Island, en Colombie 130 britannique, au Canada. En 1990, l'organisation comptait environ 600 membres et avait un chiffre d'affaires annuel d'environ 325 000 dollars verts. Ces dollars verts, qui constituent l'unité de paiement du système LET, ont la même valeur que le dollar canadien ordinaire. La somme qu'une personne doit pour un service ou un travail est débitée de son compte, puis créditée sur le compte de celui qui s'acquitte de cette tâche. Il n'y a pas d'intérêts versés, ni pour les débits ni pour les crédits. La valeur du dollar vert - l'unité de compensation - étant égale à celle du dollar canadien, l'inflation agit comme un système de contrôle de la circulation monétaire, puisque les crédits inutilisés se dévaluent au rythme de l'inflation. Comme chacun est responsable des dettes de la coopérative, il est important que les gens se connaissent et se fassent mutuellement confiance. La limitation d'un système LET à une région donnée se justifie au début, jusqu'à ce que les gens apprennent à prendre les responsabilités qu'il exige. Malheureusement, il n'a pas encore été possible de payer les impôts en dollars verts. Si cela s'était fait, la municipalité ou le comté serait devenu un partenaire du système et aurait pu financer des investissements dans cette monnaie. Les avantages du système sont évidents : les habitants de la région concernée s'enrichissent et l'État ou la municipalité peuvent mettre en œuvre des programmes de travaux à un coût incroyablement bas. D'un point de vue juridique, le système LET n'empiète pas sur l'autorité du système légal en place dans la plupart des pays, pas plus que sur le monopole de la frappe de la monnaie relevant de l'État, parce qu'il n'est rien d'autre qu'une association de troc ou un système de comptabilité et qu'il reste à un niveau local. 131 Le système LET comble une lacune du système économique actuel, lequel est toujours à la recherche du lieu de production le moins cher, détruisant ainsi les structures économiques autonomes locales. Il est exact que le marché libre mondial offre des avantages et qu'il a contribué à la prospérité dont nous jouissons aujourd'hui dans de nombreuses parties du monde. Cependant, il est également vrai que cette prospérité s'est développée aux dépens des travailleurs des « pays à bas salaires », ainsi qu'on les nomme, et aux dépens des sources d'énergie non renouvelables et de la stabilité des structures économiques régionales. Dans ces conditions, il est important de ranimer les économies locales et régionales. Les hauts et les bas de l'activité économique mondiale ne peuvent être compensés que si l'économie interne d'une région fonctionne comme un système complémentaire stable, harmonieusement intégré au commerce mondial des biens de consommation. Plus le système économique tout entier sera fort, plus ses composantes régionales le seront également. A cet égard, le système LET constitue une réponse locale au pouvoir des grandes entreprises et des monopoles d'État qui mettent de plus en plus en difficulté les petites structures économiques et politiques. Il est immunisé contre les récessions régionales ou internationales, les intérêts sur les dettes, le vol et le détournement d'argent. Le système monétaire international peut s'effondrer, le dollar ou le DM perdre leur valeur, le chômage augmenter, le dollar vert, lui, fonctionnera toujours, d'une part parce qu'il est totalement garanti par le travail et les biens et d'autre part parce qu'il ne peut être efficace que si les gens coopèrent par des échanges directs. Sa force principale réside dans le fait qu'il ne peut 132 pas être utilisé dans un but spéculatif ou pour un enrichissement injustifié. L'avantage du système LET est qu'il n'a pour seules limites que le temps et l'énergie qu'une personne est disposée à lui consacrer. Cette caractéristique peut constituer un critère décisif pour son introduction et son application sur une grande échelle, lorsque les taux d'intérêt sont élevés et qu'il y a pénurie monétaire. L'expérience a montré que les exclus du système économique normal font preuve de compétences inaccoutumées lorsqu'ils rejoignent le système. Les activités à temps partiel et les travaux payés à l'heure (baby-sitting, jardinage, lavage de carreaux, mise en conserve de fruits, nettoyage de printemps...) sont quelques exemples des échanges possibles au sein du système. A ses débuts, le système LET rencontra une forte opposition. Les gens de gauche pensèrent que c'était un complot de la droite et la droite le considéra comme une tentative de contrôle de l'économie par les communistes. Certains hommes d'affaires crurent qu'il s'agissait d'une combine pour leur soutirer de l'argent. Les hommes se montrèrent méfiants face à cette proposition et les femmes bien plus pragmatiques : « Voyons voir si c'est efficace ; si c'est le cas, pourquoi ne pas l'utiliser ? » La plupart des membres des réseaux furent fascinés par la facilité d'utilisation du système et par sa capacité d'auto-régulation, fonction du nombre de transactions qu'il peut absorber. Le système LET peut être assez facilement associé au système monétaire existant. L'origine des dollars verts, totalement décentralisée, est directement liée à leur source, la créativité des participants. Étant donné qu'on ne peut les utiliser en dehors de leur zone de validité, par exemple pour acheter des voitures japonaises ou des robes fabriquées à 133 Hong Kong, toutes les transactions commerciales encouragent le développement de l'économie locale. Une mère au chômage exprimait ainsi sa satisfaction : « Cela me donne le sentiment de faire quelque chose pour la communauté, car chaque fois que j'achète quelque chose avec des dollars verts, je sais que j'aide quelqu'un à améliorer sa situation financière. » L E RéSEA U WI R ET AUTRES ASSOCIATIONS SIMILAIRES La Suisse possède depuis 1934 un réseau national d'échange dont l'objectif est d'offrir aux entreprises des crédits raisonnables et d'aider ses membres à augmenter leur chiffre d'affaires et leurs profits. Le WIR (abréviation de Wirtschaft = économie en allemand) a été fondé par les partisans d'un système monétaire sans intérêts, les « Freiwirte » (les Économistes Libres). En tant que réseau d'échange, il fonctionne sur les mêmes bases que le système LET et les associations de troc : un système de comptes est géré par un bureau central, les retraits ou les dépôts en liquide ne sont pas autorisés, ce qui fait qu'en pratique les crédits peuvent être sans intérêts. En 1990, le WIR comprenait 53 730 membres, 16 788 comptes officiels et un chiffre d'affaires semestriel d'environ 0,8 million de WIR (dénomination de cette unité de paiement, qui a la même valeur que le franc suisse). Étant donné que ce système monétaire a besoin d'informations pour coordonner l'offre et la demande, le service administratif publie un magazine mensuel ainsi que trois 134 catalogues annuels permettant de présenter les produits et les services proposés au sein du réseau. Le WIR se définit lui-même ouvertement comme un système de soutien aux petites et moyennes entreprises en concurrence avec des entreprises plus grandes et plus puissantes, qu'il aide ainsi à se défendre contre un gouvernement de plus en plus puissant et interventionniste. L'organisation, structurée comme une banque, a son siège social à Bâle ; elle dispose de sept agences régionales et emploie cent dix personnes. Les paiements s'effectuent selon une formule similaire à celle des banques ordinaires, au moyen de chèques, de cartes de crédit et de formulaires bancaires. Toutes les transactions sont créditées ou débitées par l'agence centrale. L'épargne ne génère pas d'intérêts et seule une taxe minime est prélevée sur les prêts. La monnaie est « créée » lorsqu'une transaction est effectuée, exactement comme dans le système LET. La différence est qu'ici il s'agit d'un système à l'échelon d'un pays, réservé exclusivement aux entreprises. En 1990, les coûts de l'organisation WIR étaient couverts par une cotisation de 8 francs suisses par trimestre (soit 32 FS par an), à laquelle s'ajoute un prélèvement de 0,6 à 0,8 % sur chaque transaction. En dépit de sa réussite depuis bientôt soixante ans en Suisse, ce système d'échange coopératif n'a pas été reproduit ailleurs en Europe. Il y a à cela plusieurs raisons. En 1934, en Allemagne, après que d'innombrables « chambres de compensation », « sociétés de clearing » et « banques d'échange », organisées selon les principes du réseau WIR, eurent attiré bon nombre de gens ordinaires, une commission d'enquête présidée par Hjalmat Schacht (alors président de la Banque Centrale allemande) imposa une législation dirigée contre « l'emploi abusif » des systèmes de paiements sans 135 argent. Le paragraphe 3 de cette loi stipule que tout système de comptes bancaires doit autoriser les retraits en espèces. Cette législation visait les fondements des réseaux d'échange. Personne ne s'attendait donc, après cette défaite juridique et malgré un très grand nombre de difficultés, à ce qu'une association commerciale basée sur le troc puisse s'établir à Francfort, la principale place financière de la République fédérale d'Allemagne. L'expérience du groupe BCI (Barter, Clearing and Information), en dépit de ses services bien plus onéreux que ceux du réseau WIR, a été couronnée de succès. Au lieu d'une cotisation annuelle de 32 FS (environ 120 francs français), le groupe BCI demande 480 DM (environ 150 FF) la première année et, au lieu des 0,6 à 0,8 % par transaction exigés par le réseau WIR, il réclame 1 à 2 %. Le groupe BCI n'est pas considéré comme une banque par le Bureau fédéral de contrôle allemand, parce qu'il ne s'occupe que de l'échange de biens et de services et n'utilise l'argent que pour calculer la valeur des transactions. En 1990, son chiffre d'affaires était de 102 millions de DM, dont 30 millions de cotisations pour les opérations de troc. A l'inverse du WIR, le BCI possède un service spécialisé pour conseiller les clients et vérifie que les entreprises ne conservent pas trop longtemps des soldes débiteurs. Après douze mois, ceux-ci doivent être rééquilibrés en DM. Cela permet à ceux qui ont un solde créditeur de percevoir une compensation en DM s'ils quittent le système après une période de six mois. Cette particularité résout le problème de la convertibilité en espèces exigée par la législation allemande sur le crédit, celui de la non-convertibilité de la monnaie du réseau suisse WIR en francs suisses, ainsi que celui posé par les membres qui ne souhaitent plus faire partie 136 du système mais ne peuvent le quitter parce que leurs dépôts sont élevés, étant donné qu'ils ont fourni des biens et des services à d'autres au sein du système. LES BANQUES COOPéRATIVES J.A.K. EN SUèDE Les initiales J.A.K. signifient en danois terre (Jord), travail (Arbete) et capital (Kapital). C'est un mouvement qui s'est constitué au Danemark au cours des années trente. A cette époque, la plupart des agriculteurs danois étaient lourdement endettés et bien que leurs exploitations agricoles fussent productives, ils étalent dans l'incapacité de conserver la propriété de leurs biens. Associés à des commerçants et des patrons de petites et moyennes entreprises, ils mirent en place leur propre système bancaire et leur propre monnaie sans Intérêts. Ils s'aperçurent bientôt que grâce à ce nouveau système, leurs exploitations agricoles étalent à nouveau rentables. Craignant que cet exemple ne fasse boule de neige, le gouvernement danois interdit la nouvelle monnaie de 1934 à 1938. Aujourd'hui, les systèmes danois et suédois (qui ont été relancés dans les années soixante et soixante-dix) ont des bases similaires et proposent les mêmes facilités de prêt, mais leur organisation est différente. Au Danemark, il existe de petites banques « JAK » qui proposent des services ordinaires, tandis qu'en Suède, le système fonctionne par l'intermédiaire des services bancaires de la poste. Les objectifs socio-politiques à long terme de la coopérative JAK suédoise sont de rendre les intérêts inutiles afin de créer une économie en harmonie avec la nature, 137 débarrassée de l'inflation et du chômage. Les membres sont répartis dans tout le pays. Au début de 1991, le réseau comptait 3900 membres et avait un chiffre d'affaires total de 34 millions de couronnes suédoises (CS), soit environ 75 millions de FF. En 1993, le nombre de membres était déjà passé à 38 000 et le chiffre d'affaires à 600 millions de CS. Étant donné que le montant de l'épargne est au moins équivalent au montant des emprunts, il est évident que le système dans son ensemble est en équilibre constant. Les Figure 19 et 20 présentent deux exemples de prêts d'un montant différent, ainsi qu'une comparaison entre des prêts bancaires et des prêts JAK de la même durée.32 Il est évident que tout le monde s'en sort mieux lorsqu'un système d'épargne et de prêts réciproques fonctionne réellement sans intérêts. La participation au système JAK, à hauteur du montant total d'un prêt, se justifie tout à fait. Certaines personnes vont délibérément au-delà de cet engagement, donnant ainsi à ceux qui en ont besoin la possibilité d'emprunter avant même d'avoir épargné. Les gens qui souhaitent seulement épargner, toutefois, y perdent (en raison de l'inflation) et, de ce fait, participent rarement au système. Les deux exemples présentés aux pages et font état d'un petit prêt à court terme et d'un prêt plus important à teng terme. Toutes les sommes sont en couronnes suédoises (CS). 1ER EXEMPLE : un prêt de 17 000 CS sur trois ans, au taux d'intérêt réel de 3,4 %, est encore nettement moins cher qu'un prêt bancaire identique à 16,1 %. 2EME EXEMPLE : le coût d'un prêt plus important de 399 640 CS, quant à lui, s'élèverait à 1,7 % d'intérêts sur 20 32 Per Almgren, J.A.K. An Interest-free Savings and Loan Associations in Sweden, Tumba, 1990 138 ans, à comparer à un prêt bancaire ordinaire d'un coût de 13,1 %. Dans les deux cas, les emprunteurs bénéficient non seulement de meilleures conditions, mais en outre d'une rémunération tout à fait favorable équivalant à 60 % du capital prêté à la date d'échéance prévue de l'emprunt. En janvier 1990, le Ministère des affaires Islamiques du Koweït a confirmé que le principe du système JAK était compatible avec les principes économiques de l'Islam. Depuis lors, un pourcentage important de membres des réseaux JAK est originaire du monde arabe. D'un point de vue juridique, le système J.A.K. est légal en Suède parce qu'une association agréée par l'État est autorisée à gérer des dépôts et à effectuer des transactions. AVANTAGES ET INCONVéNIENTS DE LA MONNAIE ET DES SYSTèMES DE CRéDIT ALTERNATIFS Les réseaux d'échange, les clubs de troc et les associations d'épargne et de crédit constituent les embryons d'une nouvelle économie parce qu'ils offrent des avantages à leurs membres ; sinon, personne ne ferait appel à eux. Des biens et services pour une valeur de 2 milliards de dollars sont échangés chaque année aux Etats-Unis dans le cadre de ces réseaux. Si l'on prend en compte le nombre croissant de transactions basées sur le troc entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est, ainsi qu'entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement, une bonne partie du 139 COMPARAISON (EN COURONNES SUéDOISES) ENTRE LES CRéDITS DU SYSTèME J.A.K. ET CEUX D'UNE BANQUE NORMALE EXEMPLE 1 * Le remboursement périodique varie durant la période d'amortissement d'un crédit à tempérament. Source : Per Almgren, « JAK - An Inlerest-Free Savings and Loan Association in Sweden, » Tumba, 1990. Figure m°19 140 COMPARAISON ENTRE LES CRéDITS DU SYSTèME J.A.K . ET CEUX D'UNE BANQUE NORMALE EXEMPLE 2 JAK BANQUE Sommes épargnées chaque mois Période d'épargne en mois Montant total épargné Intérêts créditeurs (banque : 10 %) Impôts Fonds disponibles Montant du crédit Coût du crédit déduit îors du remboursement Sommes disponibles Intérêts (taux d'intérêt de la banque : 14 %) Coût net après déductions Frais de gestion de compte et d'exploitation Coût total Taux d'intérêt annuel réel du crédit Versements trimestriels Épargne durant le remboursement Paiements trimestriels (2139,33 CS chaque mois pour le réseau JAK) Paiements trimestriels après déduction fiscale (moyenne) Période de remboursement en mois 2000 72 144000 0 0 144000 2000 72 144000 48840 -14651 178189 308000 221651 -52360 -200 399640 399640 0 465319 36652 327273 0 1550 36652 327273 1.7% 13.1% 3423 429-7133* 2995 0 6418 7648 6011 270 Paiement à l'emprunteur 273 mois après le crédit (90 ¥ 2995 CS pour le réseau JAK) 269550 6114 270 0 * Le- remboursement périodique varie durant la période d'amortissement d'un crédit à tempérament. En résumé, le système JAK génère des coûts totaux inférieurs, des mensualités souvent moins importantes ou d'importance égale, et davantage d'épargne à la fin du prêt. Figure n°20 141 commerce mondial - entre 10 et 30 % d'après les estimations - est en fait du commerce de troc. Partout, ce dernier permet une augmentation du volume des échanges commerciaux, qui n'aurait pas été possible dans le cadre du système monétaire actuel. Les caractéristiques fondamentales de tous les systèmes d'échange ou de troc sont très similaires : * Les membres ont un compte à l'agence centrale ; * Les comptes sont tenus en unités de compensation fictives (dollars verts, WIR, etc.), dont la valeur est identique à celle de la monnaie nationale ; * Un découvert est autorisé dans une certaine limite et les membres pourvus d'un solde créditeur deviennent de facto prêteurs ; * Les comptes ayant un solde positif ne reçoivent pas d'intérêts, les prêts sont sans intérêts ou - si on les compare à ceux du marché international - à des taux d'intérêt très faibles ; * Les dépôts en espèces sont parfois autorisés, alors que les retraits en espèces sont en général interdits ou limités ; * Les membres doivent informer l'agence centrale de toutes leurs transactions, par téléphone, par écrit ou par messagerie électronique ; * L'agence centrale assure tous les règlements ; * L'agence centrale est rémunérée par des contributions annuelles et/ou par une taxe sur chaque transaction prélevée chez l'acheteur et/ou le vendeur ; * Les participants déterminent eux-mêmes le prix de l'unité de compte fictive ; * L'agence centrale peut exiger une provision pour s'assurer contre les pertes et les utilisations abusives du système ; 142 * L'agence centrale a pour tâche d'informer les membres du réseau sur les besoins en crédits et en prêts et de les mettre en rapport les uns avec les autres. Il va sans dire que les systèmes d'échange et de troc, qu'ils fonctionnent au niveau local, national ou international, ont grandement bénéficié des nouvelles technologies de l'information. La notion de libre échange des biens et des services, telle que l'ont envisagée Gesell et Proudhon, est bien plus facile à mettre en œuvre maintenant que l'information circule à toute vitesse dans le monde entier. Il est important de comprendre que les associations de troc ont inversé les principes bancaires actuels. Elles récompensent ceux qui échangent des biens et des services au moyen d'une monnaie sans intérêts et pénalisent ceux qui trônent sur un tas d'argent inutilisé. Il n'est pas rentable de laisser dormir des dollars verts ou des WIR sur un compte, car ils ne rapporteront rien. Si le groupe qui utilise le système de troc est suffisamment représentatif du marché dans son ensemble, ce microcosme économique fonctionnera bien. Un système économique qui serait constitué d'une centaine d'associations de troc décentralisées n'aurait à assumer que des frais de compensation et d'information, au lieu d'intérêts très lourds à payer. L'expérience montre qu'un excès de prêts - des comptes trop longtemps débiteurs - peuvent s'avérer aussi dangereux qu'un excès de dépôts, c'est-à-dire des comptes trop longtemps positifs. Pour éviter la première situation, on peut fixer une date limite afin de forcer les gens à équilibrer les comptes par trop débiteurs, en stipulant, par exemple, qu'au bout d'un an les soldes négatifs doivent être payés en monnaie normale sur le compte d'une banque associée, jusqu'à ce qu'ils redeviennent positifs. 143 Pour éviter la seconde situation, on peut introduire une taxe sur l'argent immobilisé afin d'encourager les gens à utiliser leur épargne. Bon nombre de réseaux de troc ont du mal à se développer parce que trop de membres épargnent trop. Le système LET à Comox Valley et dans d'autres régions a atteint un certain niveau de développement, puis s'est mise à stagner de manière soudaine lorsqu'il ne s'est plus présenté de possibilités d'investissements rentables. Malgré tout, l'activité économique redémarrait dès lors que le crédit redevenait disponible pour les membres. C'est la raison pour laquelle les échanges devraient être liés à un service bancaire. Afin de simplifier les procédures bancaires pour ceux qui disposent d'un gros excédent de crédit et de faciliter les négociations pour ceux qui sont à la recherche d'un emprunt, il serait possible de proposer des crédits en dollars verts (ou toute autre unité fictive permettant le troc). Les gros risques seraient assumés et couverts par des primes de risque et un solde créditeur. L'épargnant serait récompensé non pas par un surplus d'argent ou d'intérêts, mais par la possibilité de conserver son argent, sans perdre, sur un compte d'épargne. A cet égard, une taxe sur l'argent immobilisé, en tant que mesure d'incitation, dote le système d'une force d'attraction similaire à celle des intérêts. Ce qui disparaît, ce sont les multiples remboursements d'intérêts et, avec eux, la croissance malsaine du système économique et les avantages dont bénéficient aujourd'hui encore ceux qui possèdent l'argent - des avantages injustes fondés sur les intérêts perçus. A ce stade, il nous faut mentionner deux problèmes importants : (1) En premier lieu, la fraude fiscale. Ce fut un problème fréquent au sein des associations de troc il y a quelques 144 années aux Etats-Unis. Pour combattre ce phénomène, une législation a été mise en place à Washington, qui autorise les inspecteurs des impôts à vérifier les comptes de tous les membres d'une association de troc ; (2) Cela nous amène au second problème : le droit à la protection de la vie privée. Un système comptable central parfait ne constituerait pas seulement un instrument idéal pour effectuer des transactions économiques débarrassées du lourd fardeau des intérêts, mais également un système de contrôle idéal pour un gouvernement totalitaire. Un service d'information aussi parfait d'un point de vue quantitatif et qualitatif a été depuis longtemps le rêve des planificateurs, tant à l'Ouest qu'à l'Est. Déjà en 1897, Solvay suggérait une économie sans monnaie fondée sur un système de comptes centralisés qui garderait la trace de toutes les activités et de toutes les relations de chaque individu. Au XIXe siècle, il était techniquement impossible de traiter la quantité colossale d'informations nécessaires à un tel contrôle, mais (comme nous le savons tous) la situation a complètement changé au cours des dernières décennies. Un système monétaire sans argent liquide donne la possibilité de vérifier sur un diagramme les activités de n'importe quel individu grâce à l'archivage de toutes les transactions effectuées sur son compte. Nous devons être bien conscients qu'un monopole d'État, associé à un système monétaire totalement dépourvu d'argent liquide, pourrait véritablement représenter un grand danger pour notre liberté individuelle. Pour conclure, j'aimerais récapituler mes propositions : La combinaison d'un réseau d'échange - tel le système LET ou le réseau WIR - avec un groupement d'épargne et de prêt - tel le système J.A.K. -, mais fondé sur une taxe sur 145 l'argent Immobilisé (ou sur toute autre mesure facilitant la circulation monétaire eî toutes les transactions nécessaires) n'existe pas aujourd'hui ; pourtant, il serait relativement facile de la mettre en place en associant l'expérience pratique très ancienne de ces deux systèmes. Dans ces conditions, il serait créé un système monétaire sans intérêts pouvant proposer toutes les facilités offertes par le système monétaire actuel : (1) échange, (2) prêt, (3) épargne. Les diverses expériences de systèmes monétaires alternatifs sont politiquement essentielles, parce qu'elles nous aident à comprendre le fonctionnement de l'argent et la raison d'être de celui-ci dans notre vie. Les expériences pratiques sont importantes, parce qu'elles encouragent les gens à effectuer des changements dépassant le niveau individuel. Cependant, jusqu'ici aucune de ces tentatives n'a pu résoudre les problèmes majeurs qu'engendre le système monétaire actuel dans l'économie mondiale. Dans ces conditions, l'objectif d'un changement' radical de système monétaire aux niveaux national et international devrait faire partie de nos plus hautes priorités politiques dans la perspective d'un monde où régnerait la justice. 146 Adresses utiles Australie LET System 1 Ross Road Cfaannon via Lismore NSW 2480 Autriche International Association for a Natural Economie Order Wallseerstrasse 45 A 4020 Linz Canada Landsman Community Services, Ltd. 1600 Embleton Crescent Courtenay, B.C. V9N 6N8 Danemark Folkesparekassen (JAK Bank) Herningvej 37 DK 8600 Silkeborg JAK National Association for Land, Work & Capital Drejegaardavej 4 DK 8600 Silkeborg 147 Allemagne Hamburger Geld und Bodenrechtsschule e.V. Ringheide 24c D 21149 Hambourg Trion Institute Gerberstr 9 D 22767 Hambourg Inde Self Transformation Network for a Just World 35 CCI Chambers Bombay 400 020 Mexique International Association for a Natural Economic Order 902 Esquina Rüben Dario Colina, Col. 28010 Nouvelle-Zélande New Zeland Social Credit Institute P.O. Box 910 Hamilton 2015 Sri Lanka Center For Society and Religion 281 Dean's Road Maradona, Colombo 10 Suède JAK Interest Free Economy Vasagatan 14 S 54150 Skovde Suisse International Association for a Natural Economic Order Postfach 3359 CH 5001 Aarau Talent-Experiment Postfach 3062 CH 5001 Aarau 148 WIR Auberg 1 CH 4002 Basel Royaume-Uni International Association for a Natural Economic Order Exeleigh South Starcross Devon EXP 8PD LETS LINK 61 Woodcock Road Warminster, Wiltshire New Economies Foundation Universal House, 2nd Floor 88-94 Wentworth St. London Etats-Unis E. F. Schumacher Society F. Box 76, RD 3 Great Barrington, Massachusetts 01230 Ithaca Money RO. Box 6578 Ithaca, New York 14851 Seif Transformation Network for a Just World 2601 Cochise Lane Okemos, Michigan 48864 Time Dollars RO. Box 19405 Washington, DC 20036 149 Revues Der Dritte Weg Zeitschrift für die Natürliche Wirtchaftsordnung Erftstrasse 57 D 45219 Allemagne Dollars & Sense One Summer St. Sommervilie, Massachusetts 02143 Etats-Unis Évolution P.O. Box 3062 CH 5001 Aarau Suisse Fragen der Freiheit Badstrasse 35 D 73087 Boll Allemagne Permaculture Magazine P.O. Box 1 Buckfastleigh, Devon TQ1. 0LH Angleterre 151 Les Editions Vivez Soleil Beaucoup de gens croient que la maladie survient par hasard et que la santé consiste surtout à vivre comme un ascète en se privant des plaisirs de la vie ! Au fil des livres et cassettes des Éditions Vivez Soleil une autre vision émerge. Oui, il est possible de sortir de l'ignorance, de la peur et de la maladie sans se priver ni se marginaliser. Oui, la santé, ça s'apprend ! Par une démarche personnelle d'information et d'expériences agréables et intéressantes, chacun peut sortir de la prison des habitudes et trouver l'équilibre du corps, du cœur, de la tête et de l'âme qui mène vers le bien-être, l'enthousiasme, la créativité et le bonheur. A travers leurs collections SANTé, DéVELOPPEMENT PERSONNEL et COMMUNICATION SPIRITUELLE, LES PERLES DE L'ÂME, EXPéRIENCE VéCUE, les Éditions Vivez Soleil présentent les moyens les plus efficaces pour gérer sa vie et 153 sa santé avec succès. Elles montrent la complémentarité de toutes les écoles de pensée et œuvrent pour une société plus harmonieuse, plus agréable à vivre, où la compétition est remplacée par la collaboration, le stress par l'humour et l'amour du pouvoir par le pouvoir de l'amour. CATALOGUE GRATUIT SUR SIMPLE DEMANDE Adressée aux Editions Vivez Soleil Suisse : CP 313, CH-1225 Chêne-Bourg / Genève Tél. (022) 349.20.92 France : BP 18, F-74103 Annemasse Cedex Tél. : 04.50.87.27.09 Fax : 04.50.87.27.13 154 Un petit extrait de notre catalogue... DÉVELOPPER SA VITALITÉ Docteur Christian Tal Schaller et Michel Coviaux Vous souhaitez être chaque jour débordant de vitalité ? Mais vous manquez de temps et vous pensez que cela demande beaucoup d'efforts... alors lisez ce livre, il vous fera découvrir une manière d'accroître votre énergie en mettant à profit chaque instant de la vie. Vous allez pouvoir vivre dans une forme en constante progression. Sans souffrir, en vous amusant, vous pourrez développer votre beauté, votre force, votre mobilité et votre souplesse. 96 pages 155 TRANSFORMEZ VOTRE VIE Louise L. Hay Nous avons le pouvoir d'agir sur nos pensées et ainsi de transformer notre vie ! Tel est le message de Louise L. Hay qui vous accompagnera dans votre démarche de guérison par plus d'amour, plus de pardon et plus de joie de vivre. "Rien, ni personne ne possède le moindre pouvoir sur nous, car nous sommes les seuls à gérer notre pensée. Si nous parvenons à rendre notre pensée harmonieuse et équilibrée, il en ira de même pour notre vie". 312 pages QUAND L'HOMME S'ÉVEILLERA Norbert Vogel et Manuela Dumay Très peu d'hommes ont eu le privilège d'explorer les régions invisibles au-delà des apparences du monde matériel, là où tout est harmonie, santé et lumière. Norbert Vogel est de ceux-là. Manuela Dumay est allée interroger ce philosophe et thérapeute doté d'une perception exceptionnelle chez lui, au château de Landonvilliers. A travers ce dialogue initiatique, pétillant de fraîcheur et de lucidité, vos interrogations essentielles les plus profondes trouvent des réponses claires et pratiques. 256 pages LE CHEVALIER à L'ARMURE ROUILLéE Robert Fisher Une nouvelle quête du graal, d'un humour délicieux, qui fait partie de ses "grands petits livres". La limpidité, la profondeur de cet ouvrage, qui parle au cœur et à l'âme en font un conte d'une portée universelle. 160 pages LES 22 Lois INCONTOURNABLES DU BIEN-ETRE Greg Anderson Avec les "22 lois incontournables du bien-être", l'auteur nous offre un livre vital, une véritable come d'abondance destinée à tous ceux qui veulent prendre leur vie en main. Ces principes, pleins de bons sens, et parfois inattendus, sont autant de clés qui nous ouvrent les portes d'une meilleure santé, d'un corps plus vigoureux, d'une vie plus heureuse. Et ceci sans attendre, dès aujourd'hui. 256 pages L'ENNéAGMâMME Helen Palmer Véritable outil d'évolution personnelle, l'ennéagramme s'adresse à tous ceux qui s'intéressent à la découverte de soi et des autres. Il nous invite à découvrir les potentialités latentes qui résident en nous afin de les déployer. Ce système est constitué de 9 types fondamentaux qui sont basés sur nos motivations inconscientes, nos pensées, nos émotions. D'une utilisation simple, il nous amène à identifier le type auquel notre comportement se réfère et à prendre conscience de nos fonctionnements. L'ennéagramme est l'une des rares méthodes qui, très efficace, rassemble en UD système cohérent une profonde sagesse psychologique. 432 pages L'ENNÉAGRAMME FACILE Renée Baron et Elizabeth Wagele Voici le premier guide simple et drôle, pour découvrir et pratiquer l'ennéagramme de manière très plaisante. Avec une extrême limpidité, "L'Ennéagramme Facile" vous donne le mode d'emploi pour mettre en pratique aussitôt cette méthode. A l'aide de nombreux dessins et exercices, il vous aide à trouver votre type, et à discerner ainsi vos motivations profondes et vos désirs cachés. 256 pages LA FORCE EST EN VOUS Louise L. Hay Apprenez à vous aimer vous-même et vous serez surpris des résultats dans tous les domaines. Santé, travail, finances, et relations s'amélioreront de façon spectaculaire. La vie vous a fait le cadeau le plus précieux, vous respirez, et pourtant vous doutez qu'elle puisse vous procurer ce qui est bon et important pour vous ! Louise L. Hay démontre ici la force prodigieuse des ressources intérieures de l'être humain, par son pouvoir et sa créativité. 256" pages JE VEUX, J'OBTIENS Julia Hastings La visualisation créatrice est l'art d'utiliser son imagination pour réaliser un désir. Cette technique est remarquable dans tous les domaines de la vie : visualiser, c'est bon pour la santé, le travail, la vie affective, l'épanouissement de soi... Son efficacité n'est plus à démontrer notamment dans le domaine sportif où la visualisation créatrice s'est fait connaître. Aujourd'hui, elle est universellement reconnue comme une clef essentielle de la réussite. 112 pages C e livre étudie le fonctionnement de l'argent. Il expose les raisons des changements incessants qui affectent l'une de nos plus importantes unités de mesure. Il explique pourquoi l'argent fait tourner le monde et pourquoi, en même temps, il le ruine. La dette du Tiers-monde, le chômage, la dégradation de l'environnement et la course aux armements, entre autres facteurs, sont liés à un mécanisme qui permet à l'argent de circuler : les intérêts. Cet ouvrage remet les choses en ordre et révèle une possibilité peu connue dont nous disposons. L'importance de ce livre, par rapport à bien des écrits publiés, réside dans sa capacité : • à expliquer des problèmes complexes aussi simplement que possible. • à montrer comment aujourd'hui, le fait de passer à un nouveau système monétaire créerait une situation ne présentant que des avantages pour tous et contribuerait à établir une économie rationalisée.

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