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Un avocat à un juge !

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Bonsoir,

Cet avocat, ex-bâtonnier de l’Ordre des Avocats Vaudois, a écrit une lettre à un Président de Tribunal pour se plaindre.

Son texte est très intéressant et je vous conseille d’en prendre connaissance.

M. Christian Campiche l’a publié sur le site de la Méduse.

J’ai publié 2 commentaires et j’espère que vous publierez aussi vos commentaires au bas de cet article.


Merci aussi de diffuser ce message à vos amis et aux personnes confrontées à des avocats.

Meilleures salutations.

Michèle Herzog



Le 7 février 2018
Monsieur le Président,
J’accuse réception de votre décision du 4 janvier 2018, par laquelle vous m’informez que mon indemnité d’avocat commis d’office dans la procédure pénale qui vient de prendre fin ne comprendra pas les opérations suivantes :
le temps consacré à examiner les courriers que j’ai reçus, que ce soit de mon client détenu ou de tiers, et ceci indépendamment de leur longueur ;
les conversations que j’ai eues avec la famille du détenu ;
les démarches effectuées pour obtenir que le transport de la grand-mère de mon client, qui est la seule personne qui vient lui rendre visite, et qui est handicapée, soient pris en charge par l’Etat de Vaud ;
les frais de dix vacations à la prison de La Croisée, à Orbe, durant plus d’une année ; certes, j’ai pris note que chaque trajet aller-retour, qui prend 2 heures, sera rétribué au moyen d’une indemnité forfaitaire de 120 francs, mais ce montant correspond réellement à une rémunération de 60 francs par heure ; en outre, il ne tient pas compte du coût effectif du déplacement ;
les moments, parfois longs, que j’ai passés à attendre que l’audition de mon client ou de tiers débute, que ce soit dans les locaux de la Police, du Ministère public ou du Tribunal des mesures de contrainte ; je ne parle pas du temps passé à attendre la lecture du jugement.
Bien qu’affecté par votre décision, qui se fonde, dites-vous, sur la jurisprudence et les instructions du Tribunal cantonal, je renonce à recourir, car le fait de devoir justifier de manière avilissante chaque opération ajouterait une humiliation supplémentaire à celle que je ressens.
En revanche, je souhaite vous exposer ici l’inquiétude que j’éprouve, à la lecture de votre décision, pour l’avenir de la profession d’avocat et la défense des plus démunis.
Je m’explique.
Avant toute chose, vous devez savoir qu’aujourd’hui, près de 40% de la population ne dispose pas des moyens financiers pour consulter un avocat de choix. La proportion de 40% peut vous paraître énorme, mais elle se comprend facilement : un couple ayant deux enfants à charge et gagnant mensuellement Fr. 8’000.- par mois doit assumer un loyer, des impôts, une voiture et des primes d’assurance maladie exorbitantes ; bien souvent, il n’aura plus un sou de côté à la fin du mois et ne pourra donc pas faire face à une dépense imprévue. Quant aux revenus plus modestes, ils vivent souvent avec le minimum vital. Cela explique que les demandes d’assistance judiciaire sont devenues extrêmement courantes.
La situation n’est donc pas comparable à celle que vous avez connue, lorsque vous avez obtenu un brevet d’avocat, il y a une vingtaine d’années. A cette époque, le sacrifice financier consenti par l’avocat commis d’office était la contrepartie du monopole dont il jouissait. Vous le relevez à juste titre.
Mais aujourd’hui, les choses ont complètement changé :
En premier lieu, le nombre des causes d’office (400 AJ en matière civile octroyées en 1992, plus de 5000 en 2017) a explosé, de sorte qu’elles font partie de la rémunération ordinaire des avocats. C’est avec les indemnités d’office que les jeunes avocats doivent gagner leur vie. Ils n’ont pas le choix, sauf à refuser les causes d’office, ce qui n’est pas imaginable, et ce d’autant plus qu’ils n’ont pas beaucoup d’autres affaires. Je vois des jeunes avocats qui se battent pour maintenir la tête hors de l’eau et dont les indemnités AJ représentent 60% de leurs revenus, voire davantage. Ce n’est du reste pas par hasard si la majorité des avocats qui font acte de candidature pour un poste de magistrat ou de greffier de tribunal, voire de procureur, le font parce qu’ils se rendent compte qu’ils ne parviennent pas à gagner leur vie comme avocat.
Le sentiment, pour l’avocat, de bénéficier d’un monopole a aussi disparu. La concurrence est devenue forte, très forte même. L’OAV comprend aujourd’hui près de 1000 membres (il y en avait 220 lorsque j’ai obtenu mon brevet). De surcroît, le Barreau vaudois, du fait de sa position géographique, de l’unification des codes de procédure, de la concurrence qu’il subit de tous côtés (dans la moitié des affaires devant la Chambre patrimoniale cantonale, les conseils proviennent d’autres cantons) et même de la concurrence sauvage des juristes et avocats non inscrits à un registre cantonal, paraît encore plus touché que les autres barreaux.
Je trouve donc blessant qu’un certain nombre de magistrats et politiciens vaudois (vous n’en faites pas partie, je tiens à vous le dire) culpabilisent les avocats en affirmant que ce n’est pas à l’Etat de les rémunérer. Cette manière réductrice de voir les choses me choque : l’Etat ne rémunère pas les avocats, il accorde une aide sociale à des citoyens pour leur permettre d’accéder aux tribunaux. C’est différent. Ce n’est pas la faute des avocats si, aujourd’hui, près du quart de la population ne dispose pas des ressources financières suffisantes pour s’offrir leurs services.
Lorsqu’un citoyen perçoit une aide sociale de l’Etat, ce dernier prend en charge, tantôt le loyer, tantôt les frais de chirurgie dentaire, tantôt les primes d’assurances, etc. Mais dans ce cas, il (l’Etat) n’exige pas des médecins qu’ils réduisent de moitié leurs honoraires ni des propriétaires d’immeubles qu’ils réduisent le loyer de moitié. Dans les causes où l’une des parties a obtenu l’assistance judiciaire, l’Etat ne demande pas non plus aux experts mandatés par le Tribunal (notaires, fiduciaires, etc.) de réduire de moitié leurs honoraires ni ne remettent en cause les opérations que ces derniers annoncent. Lui-même (l’Etat) ne réduit pas ses propres frais de justice de moitié alors qu’il en demandera le remboursement au bénéficiaire de l’assistance judiciaire. En revanche, on impose non seulement aux avocats de réduire leurs honoraires de moitié mais, en plus, on minimise presque systématiquement leurs opérations ou on met en cause la légitimité de celles-ci. C’est contre cette pratique blessante pour notre profession que je souhaite m’insurger.
S’il était interpellé, le Tribunal cantonal répondrait peut-être qu’il est lui-même mis sous pression par le pouvoir politique, qui lui impose de respecter le budget alloué à l’Ordre judiciaire. C’est possible, mais le mal est plus profond me semble-t-il. Toujours est-il qu’on peut se demander si l’assistance judiciaire, qui n’est rien d’autre qu’une forme d’aide sociale, ne devrait pas faire partie du budget de l’action sociale, qui représente plus de 2 milliards de francs par an, et non du budget de l’Ordre judiciaire.
Bien entendu, je suis conscient qu’une rémunération digne et équitable des avocats commis d’office n’est pas la panacée universelle aux difficultés que rencontrent les avocats et que l’augmentation de leur nombre, avec les effets collatéraux que cela implique, n’arrange pas les choses.
Toujours est-il que le vieux râleur que je suis, qui a cependant l’expérience pour lui, éprouve aujourd’hui le besoin de défendre la dignité d’un Barreau en pleine tourmente.
Je constate aussi que si les opérations des avocats commis d’office sont non seulement indemnisées à la moitié du tarif usuel mais aussi continuellement rabaissées ou contestées, les avocats expérimentés se désintéresseront des causes d’office, au détriment des plus démunis, qui auront droit à une défense au rabais, tant sur le plan civil que pénal.
C’est ainsi qu’une justice à deux vitesses est en train d’être progressivement mise sur pied, avec, d’un côté, la partie assistée d’un conseil de choix, qui saura être disponible dans des procédures en divorce difficile ou face à un procureur tout puissant, et de l’autre côté, la partie assistée d’un défenseur commis d’office, qui refusera peut-être de prendre son client au téléphone, de lire ses courriers ou tout simplement de lui consacrer suffisamment de temps, sachant que ces opérations ne seront pas prises en compte dans le calcul de sa rémunération.
En espérant que vous consacrerez quelque temps de réflexion à ces lignes, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de mes sentiments respectueux.

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